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« Nous avons tous commencé par être "trahis" ; ce n'est que très exceptionnellement que nous nous sommes sciemment et délibérement engagés comme nous nous trouvons l'être. La réalité venue à nos intentions "innocentes" nous a conduits à être ce que nous n'avions pas voulu. Nous n'avons jamais fait cela seulement que nous voulions faire, mais encore ce que les autres et l'histoire ont décidé que nous avions fait. Entre l'intellectuel qui, pour échapper à ce risque, s'isole et se veut inagissant, et tous ceux qui s'excusent par leurs pieuses intentions de la réalité qu'en fait ils opèrent mais dont ils se disent prisonniers, une voie doit être trouvée. Il faut vouloir que l'acte déborde son intention, car sa réalité est à ce prix. Il faut vouloir être engagé par les autres plus avant qu'on ne pensait et ne pouvait le faire tout seul. Mais pour être capable de la vouloir réellement (au lieu de produire seulement une volonté imaginaire et vide, masquant le fatalisme) encore faut-il le faire sciemment : connaître la situation globale dans laquelle l'acte lancé va s'inscrire ; le camp et le sens dans lequel on souhaite être engagé. C'est ce que j'ai essayé de faire. C'est dans les limites de cette volonté que j'accepte d'être "trahi" (c'est-à-dire conduit plus loin que je ne peux aller tout seul). » André Gorz. Écrivain et philosophe, André Gorz a été journaliste à L'Express, puis au Nouvel Observateur où il écrivit sous le pseudonyme de Michel Bosquet.