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Le véritable Journal de Roger Martin du Gard ne commence qu'en juillet 1919, et s'achève à la mort de sa femme, à l'automne 1949. On en trouvera le texte intégral dans les volumes II et III. Mais le romancier avait conservé et lié au sort de ce Journal, à côté de lettres intimes (à sa famille, à sa femme, à sa fille, à Marcel de Coppet), d'importants ensembles épistolaires, notamment sa correspondance croisée avec le poète Gustave Valmont (mort en 1914) et avec le musicien Pierre Margaritis (mort en 1918), de même qu'il n'avait pas détruit les petits carnets qui constituent son «Journal de guerre». Tout cela, joint à un chapitre de ses souvenirs d'enfance, relatif à sa découverte de la sexualité et auquel il attachait beaucoup d'importance, forme la matière, presque totalement inédite, de ce volume. C'est dire quel portrait fouillé, complexe, vivant dans ses emportements, ses sourires et ses attendrissements, ses contradictions et ses progressives certitudes se dessine ici, au fil d'une éducation de la sensibilité et de la raison. C'est dire aussi quel bilan historique d'une implacable netteté impose l'itinéraire de Martin du Gard - un itinéraire original si on le compare à celui de ses contemporains, Gide, Copeau, Schlumberger, Mauriac, Duhamel : toutes les valeurs, psychologiques, morales, sociales, politiques, idéologiques et esthétiques, d'une époque qui s'écroule en plein désarroi sont mesurées par lui à l'aune de l'authenticité, de la liberté et du bonheur. Voilà pourquoi s'amorce ici l'image forte d'un réfractaire, dont l'écriture est très tôt perçue comme l'arme de la révolte : pendant soixante-dix ans, l'écrivain Martin du Gard ne cessera de lutter contre l'absurde, refusant non de prendre parti, mais d'en prendre son parti. Comment, après cela, s'étonner que Camus l'ait si bien compris ?