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Née dans les années ambiguës des débuts de la modernité, la dynastie sharîfienne évolua dans un monde en transition. Pour se faire une place dans un espace marocain fragmenté et en proie aux convoitises ibériques et ottomanes, les souverains de la dynastie durent adopter un système de légitimation sans faille, créer des institutions efficaces et mener une activité diplomatique énergique dans le but d'asseoir leur pouvoir au Maroc, préserver l'indépendance du sultanat et mener une politique impériale. Pour réaliser ce projet triptyque, le sultan-sharîf Ahmad al-Mansûr (1578-1603) adapta, pour mieux l'adopter, l'idéologie califale, la monarchie universelle islamique, unique « récipient » idéologique et institutionnel dans lequel il pouvait puiser pour faire le plein de force sacrée. Il utilisa à cet effet un dispositif symbolique implacable qui requit l'adoption d'un système de croyances et de concepts producteurs de légitimité, d'un cérémonial syncrétique et d'insignes du pouvoir « scripturaires ». Sur le terrain, al-Mansûr dut tantôt dynamiser les institutions administratives, financières et militaires existantes, tantôt réformer le système en créant de nouvelles institutions inspirées des modèles ibérique et ottoman. En matière de diplomatie, le sultan n'eut rien à envier à ses contemporains. Jouant sur la rivalité hispano-ottomane, il garantit tout d'abord la sécurité de son trône vis-à-vis de la Porte, puis il s'éloigna de l'Espagne pour se rapprocher des pays protestants, dans le but de neutraliser le royaume ibérique et pouvoir entamer ses conquêtes sahariennes. Il voulut alors réaliser son projet de califat occidental en s'emparant de l'Empire songhay, et se prit à rêver d'une conquête andalouse... et même de la conquête du Nouveau Monde.