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Contemporain de Smith, Ferguson propose, dans cet Essay on the History of Civil Society paru en 1767, une vision du progrès et de la civilisation qui tranche singulièrement avec la conception libérale des libertés et de la société de marché. Loin de faire une apologie sans discernement de l’individu autonome et rationnel qui rapporte tout à lui-même et ne concède de restrictions à ses libertés que celles qui permettent à l’État régalien d’assurer la stabilité des propriétés et la paix indispensable à l’accomplissement de ses intérêts, Ferguson montre que la civilisation, dans ses effets heureux, suppose un développement harmonieux des liens sociaux qui rattachent l’homme-citoyen au bien commun et à la société politique. Les excès de l’individualisme – aiguillonné par un intérêt que rien ne vient contrer – et les formes d’abêtissement entrainées par l’excès de la division du travail – qui métamorphose l’heureuse et inventive complémentarité dans le travail en une forme toujours plus abstraite et aliénante de dépendance – viennent contrebalancer la positivité du mouvement de l’improvement. Isolé pour ne pas dire esseulé, l’individu perd le sens de son implication politique dans le bien commun ; il risque alors de devenir le témoin impuissant du grand retour aux despotismes. Claude Gautier est professeur de philosophie à l’Université Paul-Valéry Mont-pellier III. Il a consacré certaines de ses recherches aux Lumières écossaises et à l’invention du regard sociologique. Il a collaboré à la traduction, parue aux PUF, de La Théorie des sentiments moraux d’Adam Smith et est l’auteur de David Hume et les savoirs de l’histoire (Vrin-EHESS, 2005).