Prix public : 26,00 €
Introduction?>Une confusion s'est établie entre la démocratie en extension et la démocratie en profondeur. Pour certains, la démocratie ne s'est jamais mieux portée. Elle semble même en passe de couvrir la totalité de la planète hors quelques exceptions calamiteuses comme celles de l'Iran ou de la Somalie. Mais pour d'autres, qui y regardent à deux fois avant de se réjouir, la vieille démocratie née pourtant sur nos terres européennes apparaît dans la plupart des cas affectée par le désenchantement, assaillie par les populismes, ou simplement abandonnée à son sort par ses électeurs dont les rares sursauts sont accueillis à la manière de prodiges qu'on souhaiterait prophétiques comme lors du récent scrutin présidentiel en France.Contemplée par conséquent dans son extension, au regard de l'espace qu'elle a conquis récemment, la démocratie est venue à première vue à bout d'une foule de dictatures, de régimes autoritaires, de tyrannies et de totalitarismes ; cela même si certains despotismes traditionnels persistent presque inchangés dans le Moyen-Orient et si la Chine reste égale à elle-même sur le plan politique. Le progrès apparaît de toute manière incontestable, en particulier en Amérique latine et à l'est de l'Europe. Les Afghans eux-mêmes jouissent désormais d'un embryon de gouvernement démocratique, tout comme les Libériens ou les Irakiens, s'agissant en particulier comme chacun sait des chiites beaucoup mieux assurés de leurs droits que les sunnites ou les chrétiens... Le plus frappant, ou serait-ce le plus inquiétant, est qu'il a en apparence suffi de peu de chose pour aboutir à cette victoire du gouvernement des peuples par eux-mêmes. Pour l'essentiel, au vu des faits bruts, il n'a fallu pour aboutir à ce résultat que des élections « monitorées » par les spécialistes de l'ONU ou d'autres experts très étrangers au pays concerné, puis des résultats correspondant exactement aux vœux de la majorité des pays du G7 obtenus au terme de procédures parfois énigmatiques, le tout sustenté en général par un gros coup de pouce militaire. « J'voudrais acheter une démocratie », déclare Jacques Dutronc dans une chanson1. Ce à quoi il se voit répondre qu'on ne vend pas cela ici, qu'on n'est pas à République (la station de métro sans doute). Peu importe, la démocratie en musique mise à part, son triomphe à l'exportation semblerait acquis à en croire le sentiment public.Qui disait cependant que la démocratie était le fruit un long apprentissage ? des esprits chagrins ? pas toujours. Il existe aujourd'hui encore une minorité d'observateurs qui ne partagent pas l'optimisme désinformé des tenants de cette démocratisation clés en main. Remplis de perplexité sur l'authenticité des jeunes démocraties créées souvent par des moyens un peu trop balistiques, ceux-là observent que les régimes de liberté établis de longue date furent le produit de transformations lentes, affectant l'ensemble d'une société bien au-delà de la simple forme de ses institutions politiques. Ils ont conscience, également, de ce que loin d'avoir le vent en poupe dans les « vieux » pays qui l'ont acquise au prix d'une longue expérimentation, la démocratie tardive qui y fonctionne avec difficulté fait plus qu'y enregistrer une crise passagère. Les habitants de nos contrées plus ou moins riches rêvent d'exporter leur système de gouvernement en tous lieux comme une panacée universelle. Mais à l'intérieur d'eux-mêmes et sans qu'ils veuillent l'admettre, ils sentent bien qu'elle se trouve en difficulté chez eux. En un mot, c'est le triomphe de la démocratie en surface, pour ainsi dire, qui attire l'attention du public. En revanche, c'est la perte de substance de la démocratie en profondeur qui demeure largement et volontairement inaperçue. Inspirée par ce constat, la matière de ce livre me trottait dans l'esprit sans que je lui trouve un titre. Mais le déclic s'est produit par hasard à l'annonce par la mairie de Paris des festivités d'un « Printemps de la démocratie » prévues du 1er au 18 juin 2006 : un nouvel « événementiel festif » succédant à la Journée de la femme, à la Fête de l'arbre, à la Journée mondiale de l'eau et à la Fête des voisins qui devait justement ouvrir ce « Printemps de la démocratie ». Enguirlandée d'autres réjouissances, la perspective de ce « grand moment de convivialité » n'a toutefois pas suscité en moi l'impatience joyeuse escomptée par les préposés aux distractions parisiennes.