EAN13
9782200351243
Éditeur
Armand Colin
Date de publication
7 novembre 2007
Collection
DEBATS D'ECOLE
Nombre de pages
184
Dimensions
20 x 14 cm
Poids
215 g
Langue
fre

Enseigner La Shoah À L'Âge Démocratique, Quels Enjeux ?

Jean-François Bossy

Armand Colin

Prix public : 25,50 €

Conception de couverture : Atelier Didier Thimonier Conception de maquette intérieure : Dominique Guillaumin Mise en pages : Daniel Collet © Armand Colin, Paris, 2007 Internet : http://www.armand-colin.com Armand ColinÉditeur•21, rue du Montparnasse• 75006 Paris 9782200254940 — 1re publication Avec le soutien du www.centrenationaldulivre.frCOLLECTION DÉBATS D'ÉCOLE dirigée par Dominique Borne et Benoit FalaizeDans la même collection Bonafoux Corinne, De Cock-Pierrepont Laurence, Falaize Benoit, Mémoires et histoire à l'école de la République Borne Dominique, Enseigner la vérité à l'école ? Borne Dominique et Willaime Jean-Paul (sous la dir. de), Enseigner les faits religieux Chapitre 1La Shoah, entre mémoire et histoireCONSCIENCE OUBLIEUSE, CONSCIENCE MÉMORIEUSE : DÉMOCRATIE ET CRIMES L'effort de transmission scolaire de la Shoah, son essor, et la forte mobilisation qu'elle a rencontrée auprès des enseignants sont contemporains de l'enracinement dans la société civile d'une dynamique mémorielle intense, quoiqu'ambiguë ou paradoxale dans ses ressorts profonds et ses effets. La conscience contemporaine semble tiraillée entre deux tendances de sens inverse : volontiers tournée, selon le tempo des modernes vers le futur (« Du passé faisons table rase ! », disaient les révolutionnaires), quoiqu'aujourd'hui plutôt nez collé au présent, elle nourrit aussi depuis quelque temps un culte sans limites pour son passé. La France, de ce point de vue, ne fait pas exception. Peut-être est-elle le pays le plus encombré de mémoire, comme en atteste la multiplication de ses musées au niveau local, régional, national, comme le prouve aussi l'ensemble des commémorations organisées par le gouvernement français et les centaines de pages de son calendrier. On notera, pour la Seconde Guerre mondiale : le 27 janvier (anniversaire de la libération d'Auschwitz et commémoration de la libération des camps), le 26 avril (journée de la déportation), le 8 mai (capitulation allemande), le 18 juin (Appel du général de Gaulle), le 16 juillet (rafle du Vél'd'Hiv), sans compter les cérémonies à caractère exceptionnel, ponctuel ou local. À cela on ajoutera les dates afférentes aux autres moments marquants du XXe siècle : la fin de la guerre d'Algérie (5 décembre), l'abolition de l'esclavage (10 mai), la Première Guerre mondiale et tant d'autres moments historiques décisifs... Mais ce n'est pas n'importe quel passé que notre conscience entend rappeler sans cesse : ce culte du souvenir a ceci de spécifique d'être de plus en plus étroitement associé à un retour sur nos crimes. Notre mémoire est de plus en plus celle des drames et épisodes honteux, et de moins en moins celle des victoires et des gloires nationales (les grandes dates révolutionnaires, les batailles et les guerres gagnées contre l'ennemi, etc.). Les deux tendances soulignées plus haut (propension naturelle à l'oubli, et forte pente mémorielle) se complètent donc davantage qu'on ne le croit : le retour incessant de notre conscience nationale sur son passé le plus sombre est sans doute à la mesure de la culpabilité éprouvée à cette pente constante de l'oubli, du refoulement ou de l'occultation de nos crimes. À cette condition paradoxale d'une mémoire culpabilisatrice vient s'ajouter une nouvelle donne éthique et politique qui n'a cessé de s'accentuer ces dernières années. La logique obsédante du « retour sur nos crimes » est en effet aussi l'une des conséquences dernières engendrées par notre culture démocratique et cette perception de nous-mêmes si bien décrite par Tocqueville, d'avoir été embarqués dans un processus infini « d'égalisation des conditions » et de pacification des mœurs1. La culpabilité que nous ressentons à redécouvrir les épisodes barbares d'une histoire pas si lointaine que cela (Auschwitz, la torture pendant la guerre d'Algérie, la colonisation, l'esclavage et la traite, etc.), et la volonté de faire alors toute la lumière sur une réalité scandaleusement déniée, sont à la hauteur de notre certitude quant à notre condition désormais adoucie et civilisée. Le souvenir lancinant du passé abhorré se donne comme le geste responsable de celui qui veut expurger une bonne fois pour toutes les derniers restes de barbarie (« Plus jamais ça ! ») et sanctionner l'entrée définitive dans une histoire enfin libérée du mal. En ce sens, et quoiqu'en disent les historiens, les débats interminables qui entourent les épisodes successifs de ce réveil mémoriel (la Shoah, à partir des années 1980, la guerre d'Algérie, fin des années 1990, la colonisation, l'esclavage depuis 2003-2004), les protestations justifiées d'une partie de la communauté historienne sur les anachronismes et les outrances auxquels ce réveil donne lieu2, les controverses indéfiniment rallumées autour des différentes lois mémorielles qui entendent protéger et sanctuariser ces différentes mémoires, ne pourront rien contre cette dynamique irrésistible qui veut que plus nous nous penchons avec horreur sur nos méfaits d'antan (parfois à juste titre), plus nous attestons et affichons la bonne foi de notre condition démocratique. Tous les plaidoyers des historiens contre la tyrannie de la mémoire ne pourront rien contre cette pente « douce » de nos démocraties, qui transforme chaque jour davantage le passé en une longue suite de folies criminelles, comme le faisait dire Nietzsche à son « dernier homme » dans le Zarathoustra (« Autrefois, tout le monde était fou »). Reste le constat d'un certain nombre d'effets problématiques enclenchés par cette nouvelle conviction pacifiste : une certaine tendance à se rassurer à trop bon compte sur notre présent civilisé et démocratique, grâce à ce tableau-repoussoir de notre barbarie passée, une perception des événements de l'histoire systématiquement envisagés du point de vue des victimes, une certaine désolation affectant le paysage historique que nous présentons de plus en plus volontiers sous cet angle exclusivement traumatique et destructeur, et pour finir, un certain encouragement à une logique de concurrence des victimes dans cette appréhension de l'histoire comme succession de tous les malheurs des peuples et nations.LE RÉVEIL MÉMORIEL : CONFIGURATIONS POLITIQUES EUROPÉENNES ET ISRAÉLIENNES La pente fortement mémorielle et « criminophobe » de la conscience politique contemporaine ne touche pas seulement la France. Elle se déploie identiquement, semble-t-il, quoique selon des tempos décalés, à propos de la période de la deuxième guerre mondiale, dans beaucoup de pays européens, et même au-delà. Elle y constitue un peu partout le conducteur efficace d'un essor de l'enseignement de la Shoah et du rôle central accordé à celui-ci. Elle a fini par accréditer l'idée selon laquelle il existerait comme une sorte de rythme naturel dans notre perception des grands événements du XXe siècle, une respiration en trois temps, dont le schéma est désormais connu sous la forme que lui ont donnée Henry Rousso et Éric Conan au sujet du régime de Vichy. Une première phase est marquée par la volonté de clôturer une crise ouverte par l'événement traumatique. Elle se prolonge comme temps d'occultation ou d'oubli. Elle est suivie par une phase d'anamnèse : une sorte de levée du refoulé, de prise de conscience ou de révélation, qui signe l'entrée en scène d'une mémoire en lutte contre le déni ou l'occultation. Elle s'achève dans une phase d'hypermnésie, ou d'excès de mémoire, investissant de manière obsédante la conscience, en focalisant à l'excès sur certaines scènes du passé et en barrant la voie à d'autres vérités. Ce schéma ternaire (amnésie, anamnèse, hypermnésie) a fini par constituer la grille d'analyse la plus spontanée pour rendre compte de l'ordre des épisodes dramatiques de la mémoire collective. L'effort scolaire d'une transmission a constitué dans beaucoup de pays, à des dates diverses (très tôt en Allemagne quoiqu'avec des effets de refoulement, il y a quelque vingt ans en France, aujourd'hui même dans un pays comme la Pologne, etc.) le prolongement naturel puis institutionnel de la phase de réveil, associé à l'idée d'une urgence politique à accompagner le mouvement. Désormais ce réveil se pense aussi c...
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