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INTRODUCTION?>Variété et prévalence des régimes non démocratiques?>Les modes de gouvernement sont multiples, y compris dans notre expérience personnelle quotidienne, puisque ce n'est pas la même chose d'être citoyen ou sujet d'un pays ou d'un autre. Pourtant, chacun sait, en même temps, que tous les gouvernements font à peu près les mêmes choses, au point qu'il nous semble parfois, comme à l'anarchiste extrémiste, que par le simple fait qu'ils sont des États, tous se ressemblent dans leur essence. Cette double observation est au point de départ de ma démarche intellectuelle.Il est clair que, pour le sujet « lambda » et bien plus encore pour celui qui occupait une position importante, l'existence sous Staline ou Hitler différait de celle de personnes habitant le Royaume-Uni ou la Suède1. Et sans aller jusqu'à ces extrêmes, il apparaît aussi que, pour une proportion appréciable de gens, sinon pour la majorité d'entre eux, vivre dans l'Espagne franquiste ou bien dans l'Italie de l'après-guerre ne revenait pas au même (sans le moindre doute, en particulier pour un responsable communiste des années 1960...). Le sociologue ambitionne précisément de décrire la relation gouvernés-gouvernants dans toute cette complexité, et de comprendre pourquoi elle se distingue tant d'un pays à l'autre. Dans cette optique, mon orientation sera la suivante. Je laisserai de côté les témoignages personnels non scientifiques, les mémoires des dirigeants, des intellectuels, des chefs militaires, des opposants ou des victimes de camps de concentration. En revanche, je m'appuierai sur les travaux qui se sont efforcés de décrire et de comprendre le fonctionnement des multiples systèmes non démocratiques dans la perspective de la science politique, que ce soit sur la base de l'observation empirique, de l'analyse des institutions ou de celle des décisions judiciaires et administratives, ou encore en faisant appel aux archives bureaucratiques, aux entretiens avec des responsables, aux sondages ou aux monographies de toutes espèces.C'est la théorie politique qui fournit en effet le cadre approprié pour poser les questions pertinentes à ce sujet. Mais en même temps, il apparaît qu'aucune étude de la vie politique d'une société quelconque à un moment donné n'est satisfaisante. Tout comme Aristote, quand il se trouvait confronté à son époque à la diversité des Constitutions des cités de la Grèce antique, nous ressentons le besoin de réduire la complexité à un nombre limité de catégories, suffisamment distinctes pour tenir compte de la variété des situations réelles, mais capables aussi de rendre les traits partagés par les gouvernements inclus dans chacune. Cet effort de conceptualisation vise à rechercher pourquoi ces entités politiques ont certains caractères communs, et pourquoi elles constituent de la sorte une catégorie différenciée ayant un sens. Comme celle portant sur d'autres réalités telles que les structures sociales, les systèmes économiques, les structures religieuses ou les lignages familiaux, la classification des systèmes politiques s'est située au cœur de la recherche sociale depuis les origines. Avec cela, de nouvelles formes d'organisation, de création et d'usage du pouvoir et de l'autorité ainsi que de nouvelles perspectives dérivées de valeurs différentes ont inévitablement produit d'autres classements. Confronté à une réalité politique changeante, le travail intellectuel est loin d'être facile. Les mots anciens deviennent inadéquats. Ainsi que Tocqueville l'avait noté en observant que « l'espèce d'oppression, dont les peuples démocratiques sont menacés ne ressemblera à rien de ce qui l'a précédée dans le monde [...]. La chose est nouvelle, il faut donc tâcher de la définir, puisque je ne peux pas la nommer » (Tocqueville, 1992-1840, p. 36), nous devons malheureusement plaquer des mots sur des réalités que nous sommes à peine en train d'appréhender. Pire encore, nous ne sommes pas seuls à mener cette entreprise ; car ceux qui contrôlent la politique dans les États d'à présent veulent également décrire et nommer leur système, ou ils entendent au moins le définir comme ils voudraient qu'il soit, et comme ils souhaiteraient que les autres le perçoivent. Dans ces conditions, il va de soi que les deux visions des savants et des acteurs politiques ne coïncident pas toujours, et que des mots identiques peuvent revêtir des significations distinctes. La clarté des concepts en est d'autant plus impérative. Problème supplémentaire, les sociétés ne se différencient pas au seul regard de leur organisation politique. Elles le font aussi dans leur relation à l'autorité dans des sphères non politiques. Ce qui explique que, aux yeux de ceux qui considèrent que les dimensions extra-gouvernementales des sociétés sont les plus importantes pour la vie des gens, la dimension politique n'entre que de manière subsidiaire, voire accessoire, dans les critères d'un classement social plus général. Quoi qu'il en soit, mon intention est bien d'affronter ici le problème spécifique de la diversité des systèmes politiques.