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Il n’aura fallu que deux décennies pour que ce qui fut un monde à part, avec son soleil trompeur et sa nuit enveloppante, son arbitraire et ses règles, sa grisaille et ses couleurs singulières, sa brutalité et sa sociabilité, obsédant les uns, en asservissant d’autres, donnant de l’espoir à d’autres encore, s’évanouisse comme s’il n’avait jamais existé… Ce monde courut-il à sa fin selon un processus aussi inéluctable que discret, pour ainsi dire souterrain ? Ou bien cette disparition ne fut-elle elle-même qu’un artifice d’apparence, nombre de traits essentiels du régime défunt lui ayant survécu avec une inaltérable vigueur ? Tout ce qui entoure l’expérience soviétique nous paraît aujourd’hui bien étrange. Comment cette étrangeté, avec son coeur d’opacité encerclé par les murailles du Kremlin, fut-elle perçue par les observateurs avisés ? Un Français, issu d’un canton raisonnable, plutôt apaisé, voire un peu rassis de la vieille Europe, pouvait-il comprendre ce pays anormal, s’exempter d’humeurs et pour autant ne pas tout sacrifier à ce réalisme politique dont, après coup, l’opportunité est si souvent sujette à caution ? Pouvait-il aussi ne pas se sentir plus stimulé, fût-ce pour lui opposer un zeste d’esprit missionnaire, par ce curieux empire que par la République livrée à ses calculs, mais qu’il servait de toute sa loyauté ? Le Journal tenu par Henri Froment-Meurice, au fil de trois postes successifs dont au final celui d’Ambassadeur, est un précieux document. L’acuité du regard et le style élégant du diplomate n’assèchent en rien la capacité d’indignation et la force d’enthousiasme de l’homme. La haine du communisme contrebalancée par l’amour de la Russie, la croyance dans les vertus de la présence culturelle de la France, la complexité parfois savoureuse des rapports de l’Ambassadeur, qui n’en pense pas moins, avec son administration et un pouvoir qui se laissaient trop souvent abuser par le langage de paix venu du Kremlin… Nous voilà ramenés aux heures chaudes de la relation très particulière, très intéressée de part et d’autre, mais empreinte à sa manière de sincérité entre la France et l’URSS.