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L'ouvrage de Heinz Dieter Kittsteiner dégage la trame commune, d'inspiration gnostique, sur laquelle reposent les conceptions étrangement comparables. quoique politiquement antagonistes, des deux penseurs de l'histoire les plus influents de notre époque. En effet, le terme " gnose " ou " gnosticisme " désigne l'approche spéculative du mouvement historique dans son ensemble, dont Hans Jonas s'était efforcé de circonscrire, au-delà des métaphores et des mythologies éclectiques, les principaux moments structurants : théologique, cosmologique, anthropologique, eschatologique. Selon cette séquence constitutive, la divinité originaire, assimilée à la puissance infinie du négatif, voit surgir en son sein le pouvoir démiurgique d'un créateur du monde, qui assujettit l'homme à la positivité aliénante des choses, jusqu'à ce qu'un dieu rédempteur le délivre de ce mirage néfaste et rétablisse la plénitude inassignable des origines. Il est alors aisé d'identifier les homologies structurelles des deux visions de l'histoire exploitées, de manière plus ou moins explicite, par nombre de penseurs contemporains. Alors que, chez Heidegger, la dynamique négative de l'Être ("Seyn" = "Nichts", "das nichtet") se fige dans la représentation métaphysique des Étants (le "Gestell"), qui condamne l'homme à " l'oubli de l'Être ", synonyme d'un déclin inexorable, mais qui débouche, " quand le péril est à son comble " (Hölderlin), sur l'avènement salvateur ("Ereignis") du " tournant " ("Wende", "Kehre"), chez Marx, la dialectique du travail et du capital, inhérente à la propriété privée, engendre l'aliénation symétrique du capitaliste et de l'ouvrier, jusqu'à ce que la déchéance radicale incarnée par le dénuement matériel et moral du prolétariat déclenche la révolution rédemptrice. Dans l'un et l'autre cas, c'est la catastrophe, au sens littéral de " renversement ", qui marque la fin des illusions démiurgiques et libère l'Être des entraves qu'il s'est lui-même infligées. Offrant une lecture croisée, à la fois subtile et limpide, des textes canoniques de Marx et de Heidegger, ce livre met en évidence la pertinence concrète de l'analyse marxienne du mécanisme de l'aliénation et retient, après l'échec de l'utopie révolutionnaire, la dimension intrinsèquement théologique de l'annonce heideggérienne du salut. D'où le titre allemand, sans doute trop lourd pour être repris en français, " Avec Marx pour Heidegger – Avec Heidegger pour Marx ". [Heinz Wismann]