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La " Belle Epoque " ne le fut guère pour beaucoup de petites gens. Et notamment pour les travailleurs immigrés juifs. Fuyant les pogroms de Russie et de Pologne, ils espéraient, parvenus en France, atteindre un havre de paix, toucher au bout de leurs peines. Mais la communauté française de confession israélite, installée depuis longtemps, espérait que la France ne serait qu'une étape provisoire sur le chemin des Amériques dans le long voyage de ces coreligionnaires dont la pauvreté et l'étrangeté risquaient de nourrir les campagnes antisémites. A cette hostilité de la communauté juive et d'une partie de la presse française s'ajoutait l'isolement des immigrés. Isolement linguistique, géographique (pour le plus grand nombre, les immigrés d'Europe de l'Est finissaient dans le centre de Paris, le " Pletzl " du Marais), économique et social enfin: car ce sont certains métiers particuliers qui émigraient d'Europe orientale, dans l'espoir de trouver à s'employer en France dans les secteurs industriels en quête de main-d'oeuvre. A la surreprésentation dans quelques métiers (habillement, cuirs et peaux, bois) s'ajoutaient les dures conditions de labeur d'où naquirent bientôt le syndicalisme et une presse révolutionnaire spécifique. Car les travailleurs immigrés juifs à la fois partageaient les conditions de vie et de travail de tous les exilés économiques et dans leurs luttes quotidiennes se voyaient opposer par leurs employeurs de même confession les exigences de la solidarité communautaire. Le " Pletzl ", monde en soi, un peu à part, reprend ici vie et forme. On ne pourra désormais plus dire que le proverbe yiddish prêchait vrai: à la " Belle Epoque " on ne vivait pas toujours " comme Dieu en France "... Nancy Green, historienne américaine, est chargée de conférences à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et à l'Université de Stanford.