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Européens, Indiens, africains et même Japonais, la diversité des peuples qui coexistèrent et s'affrontèrent dans l'Amérique du XVIe siècle illustre le brassage des populations avec lequel, depuis toujours, se confond l'histoire du monde. Quelques personnages exceptionnels incarnent les bouleversements de cette Amérique espagnole: une princesse inca qui séduit les conquistadores, un métis du Pérou venu s'installer en Andalousie où il croise Cervantès et consacre un livre à la mémoire de ses ancêtres. Ou encore ce marchand de Mexico qui écrit à son neveu de Madrid: " Vous trouverez un peu fort mon mariage avec une Indienne. Ici, ce n'est pas du tout un déshonneur, car la nation des Indiens jouit d'une haute estime. " Vision trop idyllique, certes. A preuve, les innombrables procès qui évoquent le sort réservé aux vaincus: sorcières indiennes ou mulâtresses que l'Inquisition accuse de vendre des herbes magiques, Juifs envoyés au bûcher, Noirs fuyant l'enfer des champs de canne à sucre, Indiens s'épuisant à extraire des montagnes l'argent dont l'Espagne a tant besoin. Et pourtant l'opulence de Mexico et de Lima émerveille les Européens venus bâtir une société à l'image de celle qu'ils ont laissée. En quelques années, tout se transforme, les rapports entre les êtres, les habitudes, la nourriture, mais aussi les croyances. Fascinante époque où, conscients de la fragilité de leur monde, les métis des nouvelles générations interrogent les anciens pour garder le souvenir de leurs traditions, comme si déjà ils cherchaient leurs racines. Aux frontières de ce gigantesque empire, d'autres univers émergent. Ceux qui s'y risquent connaissent un destin peu banal. Les missionnaires de la jungle brésilienne et les colons du Río de la Plata, les pirates des Caraïbes, les aventuriers du Nouveau-Mexique en quête d'un Eldorado, les trappeurs français du Canada, les puritains de Boston vont inventer une seconde Amérique, sans savoir qu'ils construisent l'avenir du continent. Carmen Bernand est professeur à l'université de Paris-X. Serge Gruzinski est directeur de recherche au CNRS.