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Le bon pain d’autrefois, le pain fait à l’ancienne : autant d’expression qui évoquent un temps où le pain était au cœur de la vie, où le partage du pain en famille ou au travail était un geste quotidien et l’offrande de pain bénit un rituel dominical. Pour comprendre le sens de ces traditions, il faut imaginer le Paris du xviiie siècle. Des fournils aux étals des marchés, les activités liées au pain animent la ville, de jour comme de nuit. Le pain est alors une denrée de première nécessité, et la boulangerie un véritable service public qui mobilise sans cesse la police. Mais sa fabrication ne relève pas que du savoir-faire du boulanger, elle dépend d’un environnement que nul ne peut maîtriser, et la peur même d’en manquer en fait un symbole. Que le pain gris remplace le pain blanc – le pain que préfèrent les Parisiens – et les voilà dans la rue. « Si le pain ne diminue, nous exterminerons le roi et tout le sang des Bourbons », proclament des affiches lors du couronnement de Louis XVI. Quinze ans plus tard, les femmes iront à Versailles chercher « le boulanger », car c’est au roi qu’il revient d’assurer la subsistance de ses sujets. Steven Kaplan fait revivre de façon magistrale cette longue chaîne du pain à laquelle toute la ville participe, et en premier lieu les boulangers. Acteurs trop oubliés de la vie politique et économique de l’Ancien Régime, ils forment l’une des plus anciennes corporations de Paris et n’en respectent pas toujours les règles : si les maîtres boulangers sont censés révéler les secrets de leur métier à leurs apprentis, ceux-ci sont souvent corvéables à merci. Rares sont les compagnons qui réussiront à s’établir. En fin de compte, la réputation des maîtres boulangers est leur capital le plus précieux, puisqu’elle leur assure à la fois le crédit de leurs fournisseurs et la fidélité de leur clientèle. Pour avoir le « privilège » de faire le meilleur pain du monde, il faut aussi savoir faire commerce et même bien choisir son épouse. Steven L. Kaplan est professeur d’histoire européenne à Cornell University. Il a publié, entre autres, Les Ventres de Paris. Pouvoir et approvisionnement dans la France d’Ancien Régime (Fayard, 1988) et Adieu 89 (Fayard, 1993).