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"Ne pas se tromper aux figures hautaines et silencieuses : ce sont des timides", écrit Jules Renard parlant de lui. Comme tous les timides, il répugnait à se confier aux autres. Son Journal lui sert de confident, d'interlocuteur, de complice. C'est à la mémoire des feuillets qu'il remet ses pensées les plus secrètes et les plus contradictoires. Ardent dreyfusard, il écrit : "Je suis écœuré à plein cœur, à cœur débordant, par la condamnation d'Emile Zola..." Mais il confesse ailleurs : "Nous sommes tous antijuifs. Quelques-uns parmi nous ont le courage ou la coquetterie de ne pas le laisser voir." Il se répand en réflexions misogynes : "Si jamais une femme me fait mourir, ce sera de rire" ; "Dès qu'on dit à une femme qu'elle est jolie, elle se croit de l'esprit" ; "La femme est un roseau dépensant." Mais n'est-ce pas pour exorciser le chant des sirènes ? "Je les aime toutes. Je fais des folies pour elles. Je me ruine en rêves." Anticlériclal, antireligieux convaincu, auteur de La Bigote, au Journal il confie cependant : "J'ai l'esprit anticlérical et un cœur de moine." Il avait une conscience amère, injuste et orgueilleuse de ses limites, mais aussi de ses qualités, celles des grands écrivains - l'humour, l'ironie, la poésie : "Les ironistes, ces poètes scrupuleux, inquiets jusqu'à se déguiser." Portrait d'une époque et d'un milieu, peinture des naturels du Morvan, et par-dessus tout portrait d'une âme poétique jusqu'à la souffrance, le Journal de Jules Renard est un chef-d'œuvre de la langue française et le témoignage d'un grand moraliste : "Je me fais une haute idée morale et littéraire de l'humour." Henry Bouillier professeur à la Sorbonne.