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Les trajectoires de la modernité nous ont amené à voir dans la littérature et la politique deux sphères autonomes et irréductibles l'une à l'autre. C'est là une conception récente dont l'historien doit se déprendre s'il veut rendre compte de ce qui faisait sens dans d'autres lieux et d'autres temps. À Jiankang, dans la Chine du Sud des Ve et VIe siècles, rien n'aurait pu autoriser un divorce entre le littéraire et le politique: les savoirs de la lecture et de l'écriture — le wen — étaient façonnés par les institutions de la cour et de l'administration. Les ministres étaient les « écrivains »; les rites, leur « esthétique »; l'empereur, les princes et les autres ministres, leurs « critiques littéraires ». Ornements du pouvoir impérial, symboles de la vertu de l'empereur, des princes et des ministres, les savoirs lettrés étaient régis par un ensemble de codes curiaux et administratifs qui en définissaient l'usage et la transmission, à tel point que pouvoir lettré et pouvoir impérial constituaient une unité inextricable. Dans ce cadre, les disputes littéraires devenaient inévitablement des conflits politiques: elles opposaient des vues différentes sur la forme rituellement « correcte » de symboliser le pouvoir. C'est donc au prisme de ses rivalités et de ses dépendances, de ses intrigues et de ses codes, que l'on fera incursion dans ce monde lettré à la fois proche et éloigné du nôtre. Pablo Ariel Blitstein est enseignant-chercheur à l'Université de Heidelberg, dans le Cluster of Excellence « Asia and Europe in a Global Context ».