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Aristote, dans la Poétique, rappelle que si les poètes d’autrefois composaient à partir des premières histoires venues, à son époque, « les plus belles tragédies sont composées sur l’histoire d’un petit nombre de familles » (Poet. 13, 1453a 17s.). Sur ce point, l’Orestie, qui met en scène la tragédie des Atrides, est parfaitement représentative du rôle que joue l’histoire familiale dans la destinée du héros tragique : d’Agamemnon à Oreste, c’est toute une tragédie de la famille qui se déroule sous les yeux du spectateur sur l’ensemble des trois pièces de cette trilogie, la seule qui nous ait été entièrement conservée.
Mais la cité tient également une place exceptionnelle dans l’action dramatique : Argos, patrie d’Agamemnon, est étroitement associée au drame privé, tandis que le destin tragique de Troie est évoqué avec émotion à plusieurs reprises par les personnages, qu’il s’agisse d’en faire un titre de gloire pour les Grecs victorieux, ou d’en rappeler au contraire l’atrocité inquiétante — dont le sacrifice d’Iphigénie apparaît comme un terrible substitut symbolique. La trilogie s’achève en outre sur la cité athénienne : avec l’acquittement d’Oreste, le conflit familial s’efface au profit de la cité.
Eschyle a donc étroitement entrelacé l’histoire familiale et le destin de la cité : cette construction complexe pose la question de l’unité dramatique de l’Orestie, et amène à s’interroger sur les valeurs qui sous-tendent cette composition.
Loin de l’approche traditionnelle qui a longtemps prévalu, et qui faisait de l’Orestie la représentation d’une évolution diachronique de la famille à la cité, l’ouvrage ici présenté étudie leur relation de manière synchronique. Il démontre, par un examen attentif du texte, que pour Eschyle et son public, le groupe familial reste un élément fondamental pour concevoir et se représenter les rapports politiques et sociaux au sein de la polis — qu’il s’agisse de l’exercice du pouvoir, des relations entre citoyens, ou du rôle essentiel de la cellule familiale pour la collectivité. Il montre comment, dans son déroulement dramatique, la trilogie en représente les risques, et en donne, à Athènes, une refondation idéale qui les légitime.