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Aussitôt Riyo recula d'un pas et, de son sabre court dont elle serrait fermement la poignée, elle frappa instantanément Torazô. La lame s'enfonça du sommet de l'épaule droite jusqu'à la poitrine. Torazô chancela. Riyo le frappa une deuxième, puis une troisième fois. Torazô s'écroula. Riyo, la fille qui venge son père à la place de son frère O-Sayo-san, toute jeune, mais qui choisit elle-même son époux Run, la vieille femme qui attend patiemment plus de trente ans le retour de son mari exilé Ichi, la gamine qui va défier les autorités pour sauver son père condamné à mort, sans oublier Yu Xuanji, la poétesse des Tang qui essaie de mener librement une vie d'artiste et de femme: ces cinq récits historiques de Mori Ôgai, composés entre 1913 et 1915, constituent autant de portraits de « nouvelles femmes » du Japon d'Edo et de la Chine ancienne. Mori Ôgai (1862-1922), l'auteur de La Danseuse, Vita sexualis et L'Intendant Sanshô, est un des grands rénovateurs de la littérature japonaise moderne. Encore très mal connu en France, Mori Ôgai est révéré au Japon comme grand maître. Il fut un pionnier, qui ouvrit des voies nouvelles à la langue, au roman, à la poésie et au théâtre; un passeur de la culture occidentale, traducteur génial et critique attentif; un intellectuel partagé entre le service de l'État et les exigences d'une pensée libre; un historien, qui essaya de renouer les fils d'une mémoire déchirée par l'ouverture du pays. Il avait étudié dès son enfance les classiques chinois, le hollandais et l'allemand. Tout jeune médecin militaire, il part pour un long séjour de quatre ans en Europe où il étudie la propreté et la prophylaxie, auprès de Robert Koch par exemple, à Berlin. Dès son retour il se lance dans une activité tous azimuts avec une énergie inépuisable. C'est à cette époque qu'il publie la célèbre nouvelle La Danseuse (Maihime, 1890). Il est aussi un des premiers à donner de belles traductions de poésie occidentale. Les deux guerres menées par le Japon contre la Chine, en 1894 et 1895, puis contre la Russie, en 1904 et 1905, le retiennent loin de son pays, sur les champs de bataille du continent. À son retour, il participe activement à l'épanouissement de la fiction en langue moderne, initié par Natsume Sôseki avec Je suis un chat (Wagahai wa neko de aru) en 1905. Il publie alors une dizaines de récits, comme Vita sexualis (Wita sekusuarisu, 1909), Hanako (1910, du nom de la danseuse sculptée par Rodin), Le Jeune Homme (Seinen, 1910), L'Oie sauvage (Gan, 1911-1913). Après la mort de l'empereur Meiji en 1912 et le suicide par éventration du général Nogi et de son épouse, Ôgai se consacre à une longue série de récits historiques, dont le plus célèbre est L'Intendant Sanshô (1914), qui sera superbement porté à l'écran par Mizoguchi Kenji en 1954. Il s'engage ensuite dans des œuvres quasi expérimentales, des biographies érudites d'intellectuels ordinaires de l'époque d'Edo, sans jamais cesser d'encourager les jeunes écrivains ni se détourner de l'actualité artistique européenne.