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Peu de figures en même temps intellectuelles, artistiques et culturelles auront donné autant que la sienne à penser (auront « aidé à vivre » non moins). Jean-Luc Godard est mort le 13 septembre dernier, volontairement, laissant inachevé le dernier film auquel il travaillait. Il s'était plaint un jour d'être connu plutôt que reconnu. Connu ou reconnu, son nom ou sa signature le sont quoi qu'il en soit davantage que son œuvre, qu’ils recouvrent trop souvent – cependant que cette dernière, paradoxalement, doive peut-être à ce nom et à cette signature ses conditions d’existence. Œuvre qui n'a pas fini de se déployer et de se réaliser, de cheminer malgré l'inévitable destin de trésor national qui lui est réservée. Il serait certes impossible d’en faire le tour dans le seul espace d'un numéro de Lignes. C'est à partir d'elle cependant, de ses mille et une formes ou déclinaisons que nous vous invitons à faire le point. Faire le point plutôt que le cadre, disait-il. Le point sur ce que nous devons aux pensées qu’il aura formées et aux formes qu’il aura pensées, seul ou ensemble, dialoguant dans sa « solitude peuplée » avec à peu près tout le monde ayant de près ou de loin rapport à l’art et à la pensée, en tant que celui-ci ou celle-là sont politiques (dans ladite politique des auteurs, disait-il, on a oublié le mot politique). Faire le point, pour prolonger l’entretien, le dialogue, la dispute parfois, pour continuer à dire et à contredire, à répondre à l’invitation des textes, des images, des sons, dont il a fait des films ou auxquels il a donné forme. Il avait fait de sa signature, de sa marque (de fabrique : JLG), celle d'un réalisateur d'une centaine de films en effet, mais celle aussi d'un penseur, d'un historien, d’un écrivain faisant de l’exercice critique (qu’il avait d’ailleurs lui-même exercé sur le cinéma), un art – et de son art une pratique critique. Un art, une pratique qu’il n’aura cessé de mettre à l’épreuve, voire à la question, qu’il n’aura cessé de diviser jusqu’à concevoir ou imaginer sa « mort » même, à un moment, le second XXe siècle, où la philosophie, l’histoire s’exposaient elles-mêmes à cette épreuve. Plutôt que de s’en tenir là, on voudrait écrire ce qui, par son nom et tous ses films, n’en finit pas de commencer.