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Peut-on se passer de gouvernement, de justice, de lois et de tout ce qui veille à les appliquer ? Peut-on déserter l’économie, le travail, abolir la monnaie ? Peut-on se rendre, en somme, « ingouvernables », et vivre sans institutions qui ordonnent le collectif ? Alors que l’échec différé des expériences révolutionnaires et des tentatives réformistes laisse une grande partie de la gauche paralysée, que nos vies semblent plus que jamais saturées d’État et de capital, l’idée a le mérite de prendre la mesure de l’époque. Et son succès grandissant dans les cortèges de la jeunesse indique assez sa puissance d’attraction. Reste à vérifier si elle peut désigner une politique. Tel est le lieu du débat pour Frédéric Lordon qui entreprend, dans cette discussion, de mettre à jour les soubassements philosophiques des discours et de l’imaginaire du « vivre sans ». Il identifie ce faisant chez Deleuze, Rancière ou Badiou, les éléments d’une atmosphère intellectuelle propice à cet imaginaire, où la politique se fait rare, singulière, se cristallise dans le devenir ou dans l’Événement, devient affaire de « virtuoses » – empruntant des voies parallèles (éthique, esthétique) pour, finalement, échapper à la politique. Une « anti-politique », donc, dont on trouve l’expression la plus achevée dans la philosophie de la destitution d’Agamben, objet d’un long développement qui est aussi pour Lordon l’occasion de redéployer sa lecture de Spinoza. Pour Agamben, destituer n’est pas seulement abattre un pouvoir, c’est faire en sorte que rien ne prenne sa place… et donc que la puissance de la multitude se retienne. Impossible, répond Lordon : « la puissance de la multitude s’exerce nécessairement » et affecte les parties qui la composent. Parvenu à ce point de désaccord théorique, c’est tout l’horizon politique associé au « vivre sans », avec ses expérimentations concrètes, qui sont discutées. Un collectif peut-il se passer d’institutions ? Pas si on entend sous ce terme « toute manifestation de la puissance de la multitude ». La ZAD n’est-elle pas, sous cet aspect, une institution, avec ses normes, ses manières, sa justice ? Dès lors son existence ne donne pas tant la formule d’une « vie sans » que celle d’un gouvernement commun des conduites dictées par des affects joyeux – une forme de vie, soit une certaine configuration des institutions. Pour Lordon, au risque de malmener quelques illusions, c’est encore là la meilleure alternative à l’État du capital et à sa police.