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(Texte provisoire) Le propre de Port Royal pour moi, c'est l'invention passionnante - même si elle est difficilement concevable pour l'esprit - d'une communauté de solitaires. Le mot de "solitaire", au sens que leur donnaient les Jansénistes, est finalement aussi beau qu'il est énigmatique. Les "solitaires" désignaient des hommes de la société civile, aristocrates ou riches bourgeois, qui optaient pour les mours des couvents (ses abstinences, ses silences, ses austérités, ses veilles, ses tâches, ses lectures) mais qui refusaient de s'y lier par des voux. [.] Ils quittaient la cour pour franchir vingt kilomètres et se retrouver dans un bois. Ils ne se guidaient sur aucune règle extérieure, n'obéissaient à personne, jaloux seulement de leur retrait du monde. [.] Ils étudiaient. Ils ne tutoyaient personne. Ni Dieu, ni les enfants, ni les pauvres, ni les bêtes. Ils saluaient les corneilles, admiraient leurs becs durs et noirs et caressaient les chats. En 1678 les derniers solitaires furent contraints de quitter la ferme des Granges sous peine d'incarcération ou de bûcher. En 1711 Port Royal fut rasée sur l'ordre du roi Louis XIV en sorte qu'il "n'y restât pas pierre sur pierre". Puis, à la fin de l'automne, alors que le froid était très vif, que la terre était couverte de neige, les tombes furent ouvertes. Les chiens affamés, les corbeaux, les corneilles, les souriceaux des champs dévoraient ce qui restait de chair sur les os des saints qui étaient morts. Ils dévorèrent Racine. Ils dévorèrent Monsieur Hamon qui avait été son maître. Dans ce texte intime et tendre, Pascal Quignard écrit - comme une partition - le mystère et l'engagement de la vie d'un lettré solitaire. Il chante la ligne mélodique du Dernier Royaume, les rois sans couronne et les ruines du Havre qui le virent naitre.