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L’histoire que je vais vous raconter se passe dans un pays que l’on gagnait autrefois exclusivement en bateau, que l’on vînt d’Afrique, nu et enchaîné à fond de cale si l’on était noir ou que l’on vînt d’Europe, vêtu et libre, en cabine ou sur le pont, selon que l’on avait ou pas les moyens.
Xavier Tanc, qui pourrait être l’aïeul de chacun d’entre nous, était de ceux qui avaient embarqué au Havre à bord de l’Intrépide Bisson à la fin novembre de 1828. Le roi Charles X l’envoyait exercer la noble profession de juge de paix à la Guadeloupe. La traversée était longue et périlleuse. Un vent debout les avait pris dans la Manche, d'où ils n’étaient sortis qu'à force de louvoyer et de tirer des bords, craignant même d'être jetés sur les îles Scilly dans la mer Celtique. Dans ces parages, ils virent rôder tout près du navire, et pendant plusieurs heures, d'énormes baleineaux, dont la masse se montrait souvent à fleur d'eau. Ce spectacle fit diversion au mal de mer qui travaillait le magistrat depuis son départ.
Hélas pour lui, une tempête affreuse s’était levée dans le golfe de Gascogne. Mais au large du cap Finistère, elle se déchaîna avec bien plus de furie et l’Intrépide Bisson resta quinze jours à la cape, avec ses plats bords brisés et tout l'horrible jeu d'un navire neuf qui semble s'entrouvrir à chaque instant sous le poids des lames qui, se heurtant dans les airs, retombent avec fracas sur le pont, et amoncellent leurs eaux sur les têtes des pauvres passagers.