Prix public : 46,00 €
Extrait de la préface de Thierry Frémaux
[...] On pensait le temps des histoires générales révolu, le livre que vous tenez entre les mains prouve qu’il n’en est rien. Alliant promenade ludique et réexamen rigoureux, les deux auteurs égrènent des années 40 délicates à appréhender, qui additionnent la plus effroyable des guerres et un difficile retour à la paix des peuples : d’un côté de la chronologie, 1939 s’achève avec La Règle du jeu de Renoir, le film du désenchantement et de l’attente de la fin du monde, et de l’autre, 1949 s’ouvre avec Jour de fête de Tati, consacré ici “film de l’année”, qui enchante les vibrations collectives de village et fait un bras d’honneur aux Américains. Entre les deux, une décennie qui compte triple tant les événements abondent, et pas seulement du côté artistique. Habituellement, on la coupe en deux : l’Occupation, comme un îlot autonome où le cinéma français fut, on le sait, assez héroïque, et l’après-guerre, qu’on attache directement aux années cinquante en les résumant hâtivement à la “Qualité française”. En suivant scrupuleusement la chronologie, Pallin et Zorgniotti évitent l’écueil d’avoir à répéter ce qui fut écrit et opèrent un changement de point de vue qui se révèle pertinent. Pas écrasés par la tâche, ils révisent, remisent et récrivent. Les vedettes populaires et les réalisateurs consacrés sont là : Edwige Feuillère, Henri Decoin, Suzy Delair, Jean Grémillon, Fernand Ledoux, Marcel Carné, Pierre Fresnay, Maurice Tourneur, Charles Vanel, Madeleine Renaud ; comme les jeunes pousses et cinéastes dont la période 1940-1950 va accoucher : Robert Bresson, Micheline Presle, Jacques Becker, Henri-Georges Clouzot, Jean-Pierre Melville, Simone Signoret ou Bernard Blier. Je suis heureux que l’un de mes films préférés y soit : Un revenant de Christian-Jaque, écrit par Henri Jeanson, pas seulement parce que c’est l’un des meilleurs films sur “l’âme lyonnaise” mais parce que c’est un grand chef-d’œuvre méconnu.
Ce livre est un plaisir et une invitation au voyage. À en parcourir les 380 pages, à consulter les listes qui le parsèment (un bon cinéphile fait toujours des listes), on comprend pourquoi cette décennie contribue, autant que celle qui la précède, à créer ce qu’on appelle maintenant le cinéma français classique, que nous consacrons depuis toujours à l’Institut Lumière. Longtemps visible exclusivement dans les cinémathèques ou les CICI (Congrès international du cinéma indépendant) chers à Raymond Borde, Raymond Chirat et Bernard Chardère, restauré par les ayants droit et célébré dans les festivals (à Cannes, à Lyon, à Bologne, à Budapest), ce cinéma revient dans les salons grâce à de belles éditions vidéo et se voit même programmé par les plateformes. Truffaut rappelait que jadis les critiques et les historiens écrivaient de mémoire, à partir de fugaces souvenirs de projection en salles. [...]
Thierry Frémaux