Prix public : 14,00 €
Ce livre, écrit en 1932, et publié début 1933, est sans doute le premier roman « prolétaire » publié au Brésil, pendant urbain et industriel, thématiquement, du roman social nordestin qui est apparu dans les années 1930 (Jorge Amado, José Lins do Rego, Graciliano Ramos…) ; à la perspective marxiste s’ajoute par ailleurs une très évidente dimension féministe. Le récit se situe à São Paulo, et plus précisément dans le quartier ouvrier du Bras, zone des industries textiles qui employaient notamment des femmes et des travailleurs issus de vagues d'immigration italienne assez récentes. On suit les itinéraires divers de quelques femmes du peuple (et secondairement de quelques hommes), les choix qu’elles font ou les sorts qu’elles subissent face à une même situation collective, c’est-à-dire l’asservissement de la femme travailleuse dans un système élitiste, capitaliste et patriarcal : militantisme révolutionnaire et clandestinité, prostitution, compromission avec la bourgeoisie… Les questions de la race, du genre et de la dépendance sexuelle sous toutes ses formes (flirts et mariages d’une classe sociale à l'autre, prostitution misérable ou de luxe…) croisent constamment la dimension sociale et politique du propos. Ce roman a été consciemment rédigé dans un but de propagande mais on y observe l’héritage de la prose moderniste des années 1920, notamment les romans les plus expérimentaux d’Oswald de Andrade (alors compagnon de Pagu) : un style bref et sec, elliptique, avec de légères audaces syntaxiques, portant souvent un ton satirique ; une narration alerte volontiers fragmentaire, qui privilégie la succession de flashs, entrecroisant librement le parcours des différents personnages… Sur un plan plus documentaire, c’est aussi, bien sûr, un témoignage de première main sur un moment significatif de l’histoire du mouvement ouvrier (et du féminisme) au Brésil : dans une République fédérale et libérale à bout de souffle, qui a connu au cours des années 1920 une véritable crise de l'autorité, São Paulo, d’abord enrichie par le café, est alors le moteur de l’industrialisation du Brésil, où l’élite politico-économique est prise à revers par la crise de 1929 ; mais comment s’y organise la lutte sociale ? En 1931-32, un Parti communiste brésilien existe depuis une dizaine d’années mais il est illégal et le militantisme révolutionnaire est de plus en plus poursuivi par le régime autoritaire et populiste de Getulio Vargas qui a pris le pouvoir par la force en 1930 (et qui finira par instaurer une véritable dictature avec l’Estado Novo en 1937-1945)… La fiction très concrète de Pagu est en prise directe avec cette réalité, sans être tout à fait un roman à clés.