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Une telle brisure suffit-elle à justifier encore une parole ? Un phrasé peut-il naître de la simple rupture d’une voix, ou d’une phrase ? Rien n’est moins sûr, et cependant il importe de poursuivre. Si grand que soit le désarroi des vivants, si manifeste leur inaptitude à comprendre non pas la mort générale (ils la comprennent assez bien), mais cette mort-ci, il convient cependant de reprendre la parole et de continuer, tant bien que mal, à nommer ce qui offusque. Tel est l’objet de ces aphorismes. L’aphorisme est un genre désuet et vaguement hautain. Une manière qui d’ailleurs ne manque pas de prétention : délimiter certes, puisque telle est l’action promise par le mot, mais délimiter quoi ? Planter des bornes, maçonner une muraille, mais contre quelles invasions, quels débordements ? Assez vite, la prétention s’effrite. La superbe se renverse. On découvre alors – c’est au fond l’unique événement de ces pages – que le plus important n’est pas dans les définitions incertaines et toujours aventureuses, mais dans le blanc qui les suit : ce petit vide où toute tentative retentit de ce qu’elle manque, et fait entendre du même coup l’amer bruissement des absentés. Christian Doumet