Prix public : 16,50 €
On dirait que nous sommes des français ! Le jour tant attendu est arrivé. J’étais en possession de dix places pour un spectacle d’Opéra à Massy. Une première pour mes enfants des bidonvilles. Nous avons bien préparé cette journée, cette sortie vers un nouveau monde, celui du spectacle, des musiciens, des artistes. Il fallait imposer un critère de sélection des participants, lié au nombre réduit de places mais aussi lié à mes possibilités de transport. Je m’avance en leur disant que je vais donner priorité à ceux qui vont régulièrement à l’école. Et là… ils ont commencé à défendre leurs droits. - Bah ! Oui tante, je ne peux pas aller à l’école parce que parfois mes habits sont lavés et pas encore séchés. - Et moi, mes chaussures sont pleines de boue et j’ai honte de rentrer dans cet état dans l’école. Tout le monde me regarde méchamment, même la maîtresse me dit que je laisse le sol sale après mon passage. J’ai vraiment honte, tante, et je sens que personne ne m’aime. - Et moi je dois rester parfois avec mon petit frère car c’est un bébé et maman doit faire la manche ou bien elle a trouvé quelques heures de ménage. Je dois rester à la maison pour le surveiller le temps que ma maman rentre. Difficile tâche, croyez-moi, d'encourager ceux qui dépassent toutes ces barrières ou plutôt ceux qui sont coincés à la maison par les différentes raisons que vous venez de lire ? Bon, je suis quand même arrivée à un consensus. À ceux qui sont trop petits, j’ai promis qu’ils iraient au cinéma. C’était mieux adapté à leur âge. Pour les grands, même si je n’ai que 8 places dans ma voiture, je les rassure, je vais faire appel à un ami. L’accord avait été conclu trois heures avant le spectacle. Je leur ai demandé de faire un effort et de mettre les meilleurs habits, les meilleures chaussures, attacher leurs cheveux, etc. Je suis de retour comme prévu. Parmi les dix inscrits, seuls six sont prêts. Florina me montre fièrement ses chaussures : « Regarde tante, mes chaussures sont propres c’est moi-même qui les ai lavées ». Giovanni rentre sa chemise dans son pantalon et se déclare prêt. Mais deux d’entre eux hésitent un peu. « En fait, tu sais, tante, nous ne venons plus. Il y a des amis qui viennent d’arriver chez nous et nous ne pouvons plus y aller. De toutes les façons je ne pense pas que ça va nous plaire. Là-bas il y aura sûrement des gens qui vont nous regarder méchamment. » Je me retrouve donc avec seulement quatre enfants alors que j’avais eu du mal à décider qui seraient les dix heureux participants. Il a fallu acheter de l’eau, ce que je n’avais pas prévu, mais nous avions le temps, nous sommes arrivés bien en avance. Ils marchent l’un à côté de l’autre, joliment habillés, prêts pour aller au spectacle. Florina me lance soudain cette phrase : « Ah tante, on dirait que nous sommes des Français ! »