Prix public : 23,00 €
Nombreux sont ceux qui ont tenté d'écrire, en toutes langues, qui une histoire de la Chine, qui un abrégé de celle du Japon. Tel s'est intéressé à la Turquie ; tel autre à l'Iran ; tel autre encore à l'Inde. Mais très rares les écrivains qui ont eu la témérité ou l'audace de brosser, de la préhistoire à l'heure actuelle, le raccourci d'un continent. Ici apparaît l'originalité du regretté René Grousset, dont l'ouvrage posthume, La Face de l'Asie, est « l'admirable relation d'un voyage dans le temps et l'espace asiatique ». Le commentateur en ces termes du manuscrit inachevé — M. George Deniker — a dû écrire deux chapitres (plutôt deux parties) : « la Chine, terre de culture et objet de convoitises » ; « le Japon, le Pacifique et l'Extrême- Orient ». Ce qui représente exactement la moitié du livre dont Grousset laissait les feuillets consacrés au « génie sémitique » ; aux « valeurs turques » ; à « l'Iran et son rôle historique » ; à « l'Inde de toujours et d'aujourd'hui ». Lourde tâche que celle de M. Deniker, mais qu'il a assumée avec honneur. Il est vrai qu'il y était préparé par un long séjour à Pékin en qualité d'interprète à la Légation de France. Ce qui frappe dans la quête de Grousset, c'est sa curiosité énorme, servie par un esprit clair ; sa facilité à reconstituer des ensembles, à découvrir, entre les peuples, interférences, incidences, correspondances ; son libéralisme ; son idéalisme ; son goût de la grandeur ; sa tristesse lucide, avec un arrière-goût d'Ecclésiaste. Les lecteurs s'arrêteront plus volontiers aux considérations actuelles. En veulent-ils quelques exemples ? Révolte récente de l'Iran contre l'Angleterre : « Dans sa révolte contre Y Anglo-Iranian, la Perse bénéficiait de nouveau de sa situation d'empire du milieu. » Où l'on voit restituer à l'Iran le rôle qu'il a joué souvent, de la Syrie au Pamir. Grousset se plaît à découvrir les articulations du corps asiatique dans l'espace et la durée ; à décrire l'apparition, la disparition et la surrection des Empires. Il nous verse, dans ce survol des civilisations, un breuvage d'Asie qui grise ou donne un peu le vertige. Sa tristesse nous point : « N'est-ce pas une des lois de l'histoire que l'épanouissement littéraire et artistique d'un pays soit loin de nécessairement coïncider avec les périodes de stabilité et de grandeur politiques ? » Cette consolation, si c'en est une, offerte aux peuples en régression est corroborée par une condamnation : « Quand le destin a inutilement prodigué à une société, en même temps que toutes les faveurs, tous les avertissements, et qu'elle s'obstine dans le suicide, sa destruction n'est-elle pas une satisfaction pour l'esprit ? » Comblés d'événements, de rapprochements et de considérations, essayons de tirer la leçon du livre ; et celle d'un mot qui figure dans la phrase précédente : l'histoire est un avertissement.