Prix public : 14,00 €
Samuel Taylor Coleridge a commencé à tenir un carnet de notes en 1794 dans sa vingt deuxième année, lors d’une randonnée au Pays de Galles. Il devait en garder l’habitude quarante ans durant, jusqu’aux dernières semaines de sa vie. Ces carnets, le poète les qualifia lui-même de « carnets de poche », de « confidents », « d’amis » ou de « compagnons ». C’est dire le rôle et l’importance que ces notations au fil de la plume revêtent pour celui qui dit encore de ces « confidents » qu’ils sont sans doute les seuls qui ne « l’ont point trahi » et de ces « compagnons » que devant eux il n’avait « pas honte de se plaindre, de languir, de pleurer. » Ces textesconstituent une masse considérable de manuscrits, Coleridge tenant simultanément plusieurs carnets, parfois sans date, parfois entrecoupés de pages blanches que le poète remplissait parfois après de longues années. Mais la vitalité de cette pensée, l’acuité de l’observation font de cet ensemble bien davantage qu’une simple introduction à l’œuvre poétique de l’auteur du Dit du Vieux marin. Il suffit de feuilleter les Carnets, dans la merveilleuse traduction de Pierre Leyris, pour être saisi par l’urgence poétique de cette écriture : « Mardi matin, 10heures et demi, 17 avril 1804 : La nuit dernière, bourrasques, ballottements sans merci, mes rêves pleins de peine et de larmes amères. » Puis : « Souvent il pleurait dans soin sommeil et il s’éveillait pour trouver/Son oreiller, sous sa joue, froid de larmes/Et pour trouver ses rêves/Si fidèles au passé, ou si prophétiques. » Décrire un ciel, une lumière, un arbre, c’est à la fois apaiser la fièvre de la pensée et lui donner une direction. Les Carnets sont l’expression même de l’incandescence d’une pensée qui donnera par la suite les poèmes les plus bouleversants. « En un mot comme en quatre » par Antonin Artaud (1896 - 1948) « En un mot comme en quatre, Samuel Taylor Coleridge, comme un certain nombre de poètes notoires à qui comme à lui il fut ordonné de se taire par tels moyens de brimade occulte auxquels il serait temps enfin d’apprendre à résister, Coleridge, dis-je, avait eu vent d’une vérité qu’il n’a pu transmettre à personne et qu’il n’a pu faire passer dans ses poèmes que de très loin (…) » Ainsi commence cet étonnant commentaire des Carnets par Artaud, en 1947, lequel poursuit un peu plus loin : « Car ce qui reste de Coleridge dans ses poèmes est encore moins que ce qui de lui-même est resté dans sa propre vie. » Ces quelques lignes disent assez la proximité profonde, intime, presque indicible en réalité, qui, à un siècle distance, lie Coleridge à Antonin Artaud. Peu de temps après le retour d’Antonin Artaud de Rodez, Henri Parisot lui demanda d’écrire une préface pour une traduction qu’il préparait de poèmes de Coleridge. Entre juillet et octobre 1946, Antonin Artaud entreprit à plusieurs reprises d’écrire cette préface sans parvenir à une forme qui le satisfasse. Finalement il envoya en novembre un texte à Henri Parisot sous forme de lettre à laquelle il donna le titre de « Coleridge le traitre ». Texte sur lequel il pratiqua par la suite nombreuses corrections manuscrites. Écrit en juin 1947, au moment où Artaud apportait d’ultimes remaniements, le fragment présenté ici, constitue vraisemblablement l’un de ces addendas. Les deux œuvres (les Carnets de Coleridge et le texte d’Artaud) ont été publiées ensemble dans la revue L’Ephémère (n° 17) de l’été 1971.