Prix public : 23,00 €
Je me détourne des lisses sentiers balayés, et gravis une piste escarpée, où les racines des arbres nouées ont gravé un grossier dessin dans la glaise jaune. Et, soudain, elle disparaît – toute la jolie surface soigneusement entretenue du gravier et du gazon et des fleurs épanouies, et il y a le bush silencieux et splendide. Sur la mousse verte, sur la terre brune, une vaste éclaboussure de lumière de soleil jaune. Et, partout cette étrange, indéfinissable senteur. Lorsque je l’inspire, elle semble absorber, devenir partie de moi – et je suis vieille de l’âge des siècles, forte de la force de la sauvagerie. Aujourd’hui, les lecteurs anglo-saxons ont à leur disposition l’intégralité des nouvelles composées par Katherine Mansfield, c’est-à-dire beaucoup plus que les cinq recueils que les lecteurs français peuvent se procurer. Le pin, les moineaux, et toi et moi, nouvelles inédites donne à lire les nouvelles publiées en revue du vivant de Katherine Mansfield et jamais traduites en français car non reprises en recueil. Indispensable à la compréhension tant de l’œuvre de cette auteure majeure qu’à celle du genre de la nouvelle-instant dont Katherine Mansfield est aujourd’hui considérée comme l’inventrice, le recueil regroupe vingt-neuf nouvelles, parues entre 1903 (elle a alors quinze ans) et 1917 – trente-deux si l’on ajoute les trois nouvelles anecdotiques mais symboliques qui sont reproduites en annexe et que l’enfant Kathleen Beauchamp publie entre neuf et onze ans dans le journal de son école. Loin du seul lyrisme dans lequel on l’a souvent cantonnée, la prose de Katherine Mansfield y est tantôt poétique, tantôt théâtrale, tantôt pleinement satirique ; elle multiplie les registres et les tonalités, mélange les emprunts à l’histoire littéraire. Dans la voix impalpable qui anime les nouvelles de Katherine Mansfield, quelque chose reste toujours en souffrance : une secrète obsession du temps et de la mort, la menace constante de la solitude ou de l’abandon, un cri sourd contre toute forme de violence, mais aussi les palpitations joyeuses du “moment de vie” lorsque celui-ci annule la fuite perpétuelle du présent : le rire d’un enfant, les mots réconfortants d’un parent ou d’un ami, le bruissement délicieux de la nature. Le 3 février 1918, quelques mois après avoir publié la dernière nouvelle de ce recueil, dans une lettre restée célèbre, Katherine Mansfield fait part des deux forces agissantes à l’origine de son écriture : l’une “est la joie, la vraie joie”, celle qui lui permit si souvent d’écrire, et qu’elle tenta, sans relâche, “modestement” d’exprimer ; l’autre fut “un sens extrêmement profond du désespoir, le sentiment que tout est condamné au désastre”, un “cri contre la corruption”. C’est cette dualité que l’on trouvera dans bon nombre des nouvelles de ce recueil Le lecteur de ces inédits découvrira ainsi, ou redécouvrira, le génie de Katherine Mansfield lorsqu’elle donne la parole aux enfants : cet incroyable façonnage de la langue, de son rythme, de son lexique, de ses torsions enfantines magiques. Mais il découvrira ailleurs, comme en contrepoint, la veine tout à la fois réaliste et satirique de Mansfield qui s’avère être un des aspects centraux de son œuvre, une arme littéraire irrésistible contre la domination impérialiste et masculine, l’utilisation des clichés, le prêt-à-penser, l’assujettissement aux codes de l’élitisme culturel et du rapport amoureux. La postface d’Anne Besnault, professeure à l’université de Rouen et spécialiste de Katherine Mansfield, resitue pleinement l’enjeu du présent recueil dans son oeuvre et dans l’histoire littéraire si riche des années 1910-1920.