Prix public : 6,00 €
« Le soir, l’autocar parvient tant bien que mal à la station. Il se faufile dans un enclos grillagé, parfois électrifié selon les arrêts. On n’en descend pas, excepté le chauffeur, remplacé par un autre au matin. Une patrouille accompagnée de clébards complète le tableau nocturne. Le départ à la fraîche fournit l’occasion de baisser les vitres afin d’atténuer la puanteur des corps pas lavés depuis le début du voyage, sauf de façon précaire au cours d’arrêts non planifiés et votés : “Aux risques et périls des passagers”, selon le règlement de la compagnie.“Plaine numéro 6” ne signifie pas que nous en avons traversé cinq, mais que l’énumération en désordre des territoires jalonne le temps qui défile. On ne distingue aucune différence : cailloux, poussière, parfois un corps, animé ou plus du tout. Les paysages de décombres se succèdent en vitesse.Là aussi Charles s’en moque. Il continue de cloper, les yeux mi-clos, avec sa gueule de vieux, les doigts jaunes qui desquament en partie. De temps à autre, tout de même, il montre un point au-delà ou au milieu des ruines et marmonne des souvenirs, toujours semblables, sans intérêt, des tueries.Il doit confondre les repères de la route et rallonger également son existence : comment a-t-il pu vivre dans tous ces endroits ? Au fond, je m’en fous aussi. Mais moi, je ne fume pas pour me donner une contenance. »