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Faut-il penser l'unité de « la » philosophie des Lumières comme s'il s'agissait d'un phénomène européen homogène ? Lumières, Aufklärung, Enlightment, Illuminismo : ces termes ne sont pas la traduction l'un de l'autre. Unifier ces pensées en leur attribuant un commun recours à l'universel a un caractère profondément problématique et peut avoir un sens idéologique et politique. Le présent ouvrage, en marquant la persistance de l'argumentaire sceptique, propose, selon la formule de La Mothe Le Vayer, un Décalogue sceptique qui ne se réduit pas au doute généralisé : il prescrit et programme une systématicité dans l'étude de la variation des normes. Au temps des Lumières, en effet, l'universel de toutes les normes, théoriques ou pratiques, fait réellement débat et met en question une philosophie de la lumière naturelle et une métaphysique du moi supposé être un point fixe. Cette critique de l'universel s'exprime dans une philosophie du sensible : Diderot étudie la figure paradoxale de l'Aveugle, Condillac érige sa statue, l'abbé de l'Epée restitue les sourds muets à la dimension de la discursivité, La Mettrie invente « Monsieur Machine » tout en invoquant une métaphysique de la tendresse, Rousseau justifie un épicurisme de la raison et un art de jouir, Hume naturalise la religion en l'articulant à des passions fondamentales, Montesquieu, attentif à la logique des histoires singulières, démonte et compare les machines juridiques. Le pluriel des Lumières a été méconnu : il permet pourtant de comprendre le caractère équivoque de leur héritage aujourd'hui, entre la reprise morale d'un universalisme des normes et sa contestation dans un travail juridique et anthropologique.