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Erving Goffman a passé sa vie à s'approcher du langage. Avoir consacré son oeuvre à écrire la grammaire de nos comportements quotidiens le menait inévitablement à étudier ces comportements qu'on dit linguistiques. Expression fautive qui laisse croire qu'il ne s'agit que de faire en disant. On fait autant avec des silences, des exclamations, des onomatopées. Surtout, et c'est là peut-être l'apport essentiel de Goffman ici, il faut échapper à cette régression à l'infini qui captive le linguiste : que le langage toujours répond au langage, que le signifié toujours présuppose un autre signifié, toute sortie barrée vers le dehors des mots. Il n'en est rien. Ainsi, une réponse, verbale ou non, suppose moins une question préalable qu'elle ne permet, parfois, de reconstruire quelque chose comme un possible objet de référence ; ou bien on parle tout seul, et le soliloque qui ne suit rien est encore une façon de traiter une situation sociale ; ou l'on fait une conférence sur un sujet quelconque, y compris l'art des conférences, et ce qu'on dit vraiment, c'est que le monde existe et qu'il est cohérent puisqu'on peut en parler. Enfin, si l'unique condition de félicité qui légitime les échanges est que l'autre ne soit pas fou, et si l'on est prêt à tout invoquer pour éviter de conclure qu'il l'est, ne s'ensuit-il pas que la moindre parole peut, à l'occasion, présupposer toutes choses au monde, et les plus improbables ? Jamais Goffman n'avait poussé aussi loin sa réflexion sur nos actes. Que celui-ci doive rester son dernier livre est un grand regret ; qu'il ait pu nous le laisser, une consolation.