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Sommaire > Histoire : Marc de Launay : « J’étais un élément asocial » Maurice Kriegel (dir.), Gershom Scholem Cet article porte sur le « Cahier de l’Herne » Scholem, livre collectif réunissant une quinzaine d’études des meilleurs connaisseurs de ce philosophe et historien juif (1897-1982), spécialiste de la kabbale – dont on peut même dire qu’il en est « l’inventeur » : c’est lui qui a fait entrer la kabbale dans le champ des sciences humaines. Mais il est aussi une figure éminente de l’histoire d’Israël. À son travail savant sur le judaïsme s’ajoute une dimension pratique : contre tout enrôlement de la religion sous des bannières politiques, il s’engage pour un sionisme dégagé du nationalisme. Pour lui, construire Israël doit se faire sans s’aveugler sur la situation complexe de la Palestine, sans accepter le secours de solutions imposées par les grandes puissances. L’histoire du judaïsme n’obéit pas à un destin : elle est entre les mains des Juifs eux-mêmes. Marc Lebiez : Le huitième jour Jacob Taubes, Eschatologie occidentale « Le Temps presse ». Du culte à la culture L’auteur de cet article montre en quoi Jacob Taubes (1923-1987), philosophe des religions et tout particulièrement du judaïsme, a longtemps été marginalisé dans le monde intellectuel allemand du milieu du XXe siècle. Philosophe fondamentalement hétérodoxe, penseur des rapports entre théologie et politique, penseur de l’Histoire – qui a pour tâche, selon lui, d’« expliquer comment le mal s’est introduit dans le monde » –, qu’il importe aujourd’hui de redécouvrir, entre Walter Benjamin, Carl Schmitt et Gershom Scholem Constantin Zaharia : Cioran au passé antérieur Cioran, Transfiguration de la Roumanie De la France Laurence Tacou et Vincent Piednoir (dir.), Cioran Autre article entrant en résonance avec l’Histoire, qui porte sur deux livres de jeunesse, inédits en français, du philosophe Cioran (1911-1995), écrits durant le nazisme, ainsi que sur le « Cahier de l’Herne » Cioran. Ces deux livres, mais aussi les documents et articles inédits figurant dans le « Cahier de l’Herne », formant un ensemble de textes écrits entre 1933 et 1937, constituent ce que Cioran lui-même a appelé ses « emballements de jeunesse » : des prises de position antisémites et xénophobes. En 1941, Cioran tourne le dos à cet engament et désavoue ces écrits. Ceux-ci ont suscité de nombreux débats – sans que pour autant ces débats s’appuient sur la lecture des textes. Le lecteur français peut désormais juger sur pièces. Il faut donc saluer la parution de ces textes, qui permettent de relativiser voire de démentir l’image que l’on se fait habituellement de l’auteur : philosophe de la résignation, de l’ennui et de la tristesse. C’est aussi l’occasion de mesurer la trajectoire d’un homme, les méandres d’un parcours, jusqu’à l’acceptation que l’oubli est impossible et le changement nécessaire. Ainsi Cioran écrit-il à sa famille en 1947 : « En somme, toutes les idées sont absurdes et fausses ; il n’y a que les hommes qui comptent, les hommes tels qu’ils sont, indépendamment de leur origine et de leurs croyances. À cet égard, j’ai beaucoup changé. Je crois que je n’embrasserai plus jamais une idéologie. » À cet ensemble d’articles sur l’Histoire s’ajoute une note de lecture d’Hubert Lucot sur Les États-Désunis de Vladimir Pozner (1905-1992), écrivain français marxiste : livre écrit en 1936, pamphlet contre l’industrialisation à marche forcée et le capitalisme ; montage de scènes de la vie quotidienne, de choses vues, principalement à New York, de documents et reportages, coupures de journaux, tout cela mêlé dans un style à la Dos Passos. Un portrait à charge que Michael Moore pourrait aujourd’hui parfaitement reprendre à son compte. > Sociologie : Nicolas Poirier : Penser la création Pierre-Michel Menger, Le Travail créateur L’auteur du livre analyse les relations entre le travail et la création artistique. La thèse forte qu’il soutient est que la création, contrairement à ce que l’on pense habituellement, obéit à une rationalité, tout comme le travail. La différence est que la création a un horizon incertain, est modelée par une incertitude constitutive. L’art, qui n’est plus pensé sous l’angle de la singularité irréductible et du génie, peut donc se soumettre à l’enquête sociologique. Marie Gaille : Sortir de la précarité par le soin ? Guillaume Le Blanc, Vies ordinaires, vies précaires L’invisibilité sociale Comment rendre visibles les exclus, les « sans voix », ceux qui parfois s’éprouvent eux-mêmes comme invisibles ? Le sociologue Guillaume Le Blanc analyse la possible disparition de la personne hors de l’espace public, son « invisibilisation ». Il propose des pistes, théoriques et pratiques, pour mettre fin à la mort sociale des précaires. Wilfried Lignier : Comment pratiquer la critique des institutions ? Luc Boltanski, De la critique. Précis de sociologie de l’émancipation Pourquoi l’ordre social tient-il malgré son caractère profondément inégalitaire ? Pourquoi les multiples raisons de le remettre en cause ne sont-elles pas constamment formulées, et les diverses opportunités de le subvertir systématiquement saisies ? Cet article expose les thèses de sociologie politique qu’apporte en réponse à ces questions le sociologue français Luc Boltanski, disciple de Bourdieu, et en montre les limites théoriques et pratiques. Il s’agit d’une description de l’ordre social dans lequel nous sommes pris, et des conditions de sa subversion politique. > Philosophie : Frédéric Fruteau de Laclos : Comment on écrit l’histoire de la philosophie ? Frédéric Worms, La Philosophie en France au XXe siècle L’article rend compte de l’ambition immense du livre de Frédéric Worms, qui se veut à la fois manuel, recueil et essai de philosophie. La thèse que soutient l’auteur porte sur les notions de problème et de moment : au moment 1900 correspond le problème de l’esprit ; au moment de la Seconde Guerre mondiale le problème de l’existence ; au moment des années 1960 le problème de la structure. Cette vision intragénérationnelle, insistant sur les parentés de pensée à une même époque, autour d’un même problème, s’oppose à la division classique des philosophes en lignées, en générations. Cette vision de l’histoire de la philosophie est discutée par l’auteur de l’article, qui montre en quoi elle n’est pas entièrement convaincante. Lorenzo Vinciguerra : L’œil de l’esprit et son signe. Peirce penseur des mathématiques Christiane Chauviré, L’Oeil mathématique Un article qui montre l’originalité de la pensée mathématique du philosophe américain Peirce (1839-1914), fondateur de la sémiologie, science des signes. L’enjeu est ce paradoxe : comment les mathématiques, qui reposent sur la déduction, peuvent-elles offrir des découvertes aussi riches qu’une science d’observation ? Comment peuvent-elles être une science expérimentale ?