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Il y a un peu plus d’un an que Michel Butor nous a quittés – formule convenue qui ne lui convient guère. Car Michel Butor a toujours su faire de son absence une présence ; de son retrait, une avancée – vers de nouvelles formes de création, vers de nouveaux compagnonnages. Plusieurs sont évoqués dans ce numéro. De l’oeuvre de Butor, sans doute est-il trop tôt pour dire en quoi la postérité la changera. Telle n’est pas l’ambition des textes ici réunis. Elle serait, bien plutôt, de montrer à l’oeuvre le désir de poème qui la parcourt et l’irrigue tout entière. Textes avant tout émus, ce sont autant de petites pierres posées sur un kairn : souvenirs ou « biographèmes » ; notes filées plutôt que tenues. « Si j’étais écrivain, et mort, comme j’aimerais que ma vie se réduisît, par les soins d’un biographe amical et désinvolte, à quelques détails, à quelques goûts, à quelques inflexions. » Ce voeu est célèbre, Barthes le formule en tête de Sade, Fourier, Loyola. Michel Deguy en perpétue l’esprit dans son portrait de l’artiste « en salopette ». Jean-Pierre Barou lui donne l’accent d’une complicité passionnée avec l’art. Lui fait aussi écho Claude-Henri Bartoli, témoin et acteur du compagnonnage de Michel Butor avec les artistes. Poésie est le nom commun qui unit ces moments de mémoire. C’est aussi le mot qui oriente l’hommage rendu par Nathalie Piégay à un écrivain qui, déjà auréolé de ses succès de romancier, laissa rouler l’auréole pour opérer sa propre modification. Le romancier ne disparaît pas, il laisse muer sa voix. Et sans doute la nécessité de cette mue était-elle inscrite dans le succès même de La Modification, son livre le plus connu, qui apparaît aujourd’hui comme un point de départ bien plus que d’arrivée. Départ vers la poésie – son beau souci, selon la belle expression de Valery Larbaud, avec lequel Butor a plus d’une affinité. Les deux poèmes inédits qui figurent dans ce numéro sont datés, l’un de 1948, l’autre de 2016 : à leurs dates, on comprendra que ce souci fut de tout temps.