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Le comte Harry Kessler (1868–1937) est une figure essentielle de la vie des arts en Europe à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Sa triple éducation allemande, anglaise et française le voue dès l'origine à une mobilité qui devient bientôt le maître-mot de son existence de collectionneur et de mécène, de critique, de directeur de musée. Resté longtemps inédit, le Journal qu'il a tenu pendant près de soixante ans en est le dépôt et le témoin assidu. Les quelque dix mille pages manuscrites de ses carnets livrent un document exceptionnel, le miroir alerte et sensible où Kessler capte sur le vif les mouvements qui ont agité les idées, la société, la politique et les arts à Paris, Berlin, Londres ou Bruxelles entre 1890 et la veille de la Seconde Guerre mondiale. Les deux volumes de la présente édition s'attachent en particulier aux considérations et aux propos sur l’art et les artistes de son temps. Lecteur de Nietzsche, Kessler a toujours vu dans l’art « le grand stimulant de la vie », il veut en faire le ferment et le levier, sinon d’une révolution, du moins d’une réforme et d’un progrès des esprits. À cette fin, il s’engage avec passion dans les débats esthétiques d’une époque aussi inquiète que féconde, il visite les ateliers, fréquente les artistes, les soutient et les impose contre le carcan des académismes, le conservatisme de la politique impériale et les idéologies délétères de la République de Weimar. Dans ce combat, l’art et les artistes français tiennent la vedette. Kessler en est l’infatigable champion, le passeur diligent et avisé, au moment où s’invente en Allemagne, avec Hugo von Tschudi à Berlin ou Alfred Lichtwark à Hambourg, l’idée même du musée moderne.