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À maints égards, l'estran peut être considéré comme une construction mentale, fruit d'une très longue histoire. Jusqu'au Moyen Âge, cet espace régulièrement recouvert par les marées est vécu comme le prolongement de la bande terrestre: on y fait valoir des droits sur des espaces délimités, voire parcellisés. Outre la simple collecte (poissons, algues, sel, sable, galets, amendements marins, coquillages et crustacés), l'estran porte encore la trace de multiples aménagements liés à l'exploitation à pied des ressources dont le stock paraissait illimité: ornières de charrues, pêcheries, viviers, fours, carrières, salines, marais salants. Plusieurs ruptures ont marqué cet espace: avènement de l'économie agricole au Néolithique, puis de l'économie de marché et des échanges de ressources à longue distance durant l'Antiquité et, à partir de la seconde partie du Moyen Âge, développement de la pêche embarquée, constituant le début d'une mondialisation assortie d'une recherche effrénée de nouvelles ressources halieutiques liée à la surpêche des poissons d'eau douce. L'évolution du contexte socio-politique des périodes moderne et contemporaine a eu des conséquences indiscutables en termes de perception de l'estran. Cet espace est alors davantage placé au cœur des enjeux de pouvoir, en tant que frontière. Le trait de côte est alors perçu comme une barrière entre deux mondes, une limite entre le domaine terrestre et le domaine maritime, ce qu'il n'a pourtant jamais été dans le vécu des populations riveraines. La pratique de l'archéologie sur estran offre des spécificités propres, et mérite qu'une discussion méthodologique lui soit consacrée: des conditions d'intervention particulières, voire extrêmes (sur les plans technique et administratif), un caractère d'urgence liée aux processus d'érosion littorale, des gisements qui produisent une documentation originale et riche, proche de celle des « milieux humides » en eau douce, et la possibilité de mettre en œuvre des méthodes originales et les outils de l'analyse spatiale sur de vastes surfaces. Dans cet état d'esprit, ce volume tente de balayer, sous la forme de contributions volontairement brèves, les problématiques variées et les questions actuelles posées par la gestion et les méthodes d'intervention sur les estrans de la façade Atlantique-Manche-Mer du Nord, caractérisés par un important marnage où le jeu des marées assure quotidiennement un renouvellement des ressources biologiques dans un paysage à la géographie changeante.