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En cette fin du printemps de l'année 1776, la révolte des colonies de sa Majesté George III d'Angleterre a vraiment une drôle d'allure. À la tête d'une armée dépenaillée, un taciturne fermier de Virgnie, monté sur son cheval blanc, attend l'arrivée des troupes britanniques. Sur l'île de Manhattan transformée en camp retranché, Robinson Street - connue sous le nom de « Terre sainte » à cause de la proximité de la chapelle St. Paul - est une enclave de plaisir. C'est là qu'officient les « nonnes », qui veillent au bien-être des soldats. Le plus célèbre bordel de la rue est le Jardin de la Reine, domaine de l'influente Gertrude qui traite d'égale à égal avec le shérif et ne refuse rien au général Washington. Autre familier de la maison de Gertrude, le jeune John Stocking, surnommé Johnny Bel-Œil depuis qu'il a perdu un œil aux côtés du général Benedict Arnold au Canada. Johnny est devenu le protégé de Gertrude et des nonnes, alors que son père, un faux monnayeur de Leeds, cherchait à se soustraire à la justice anglaise. Depuis, il est une figure locale, étudiant à King's College, espion à la solde des Britanniques, mais indéfectiblement attaché à la personne du général Arnold. Sans parler de la dette qu'il a contractée envers George Washington qui l'a sauvé de justesse de la pendaison. Mais Johnny ne se contente pas d'être un agent double ou triple (lui-même le sait-il ?) Il poursuit avant tout un objectif : gagner les faveurs de Clara, la pensionnaire préférée de Gertrude. Clara est une superbe octavonne à la flamboyante chevelure, elle fume une pipe à long fourneau et n'a pas froid aux yeux. Johnny est prêt à tout pour Clara, lui qui s'enferme dans le placard à chaussures des nonnes pour toucher, humer, regarder les délicates pantoufles de sa belle. Enfin, l'autre quête de Johnny, tandis qu'il joue les infiltrés et est victime de nombreuses mésaventures, c'est l'identité de son véritable père, qui est peut-être le général Washington lui-même... Johnny narre son odyssée sur un ton à la fois familier et faussement précieux. Il prend le lecteur à témoin pour mieux l'entortiller dans les rets de son récit où s'entremêlent le vrai et le faux, l'épique et l'anecdotique, l'action et le commentaire, dans la tradition narrative de Tom Jones ou de Tristram Shandy. À travers ce personnage aux multiples facettes, Jerome Charyn fait défiler toute la Révolution américaine, épisode fondateur du pays, dont il réinvente la matière au moyen de scènes hautes en couleur, inscrites dans un quotidien parfois surréaliste. On retrouve le Charyn conteur juif, digne héritier d'Isaac Babel, au mieux de sa forme littéraire, avec son écriture toute en images merveilleuses et singulières. Il joue avec beaucoup de malice et d'ironie sur l'utilisation d'un style « d'époque », aussitôt contrebalancé par des expressions familières, voire contemporaines. Sous sa plume, George Washington descend de son piédestal et devient un être humain attachant, drôle, contradictoire, en un mot, un vrai personnage de roman.