EAN13
9782748900170
Éditeur
Agone éditeur
Date de publication
10 avril 2003
Collection
CONTRE-FEUX
Nombre de pages
128
Dimensions
18 x 9 x 1,1 cm
Poids
102 g
Langue
fre

Le Mal Être Juif, Entre Repli Assimilation Et Manipulation

Dominique Vidal

Agone éditeur

Prix public : 9,20 €

De nombreux français d’origine, de religion ou de culture juive éprouvent un réel malaise, voire ressentent un désarroi profond, quand ils ne vivent pas dans l’angoisse. Cette dépression collective induit ou renforce, chez certains, des comportements nouveaux à cette échelle : repli identitaire, radicalisation politique, intégrisme religieux… Au-delà de la fièvre communautariste qui saisit de larges secteurs de la société française et à laquelle les Juifs n’échappent pas, plusieurs facteurs spécifiques pèsent dans cette évolution. Le premier, c’est l’impasse sanglante où s’enfonce le conflit israélo-palestinien. Il faut dire que l’espoir entretenu, malgré l’assassinat d’Itzhak Rabin, par le processus de paix d’Oslo s’est évanoui en quelques mois. Une descente aux enfers rythmée par l’échec du sommet de Camp David (juillet 2000), la visite d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées (28 septembre 2000) et le déclenchement de la seconde Intifada, l’avortement des négociations de Taba (janvier 2001), la victoire électorale du chef du Likoud (6 février 2001), l’escalade de la répression et du terrorisme, la réoccupation par l’armée israélienne des zones autonomes. De cet engrenage, auquel la droite et l’extrême droite israéliennes ont apporté une contribution décisive, mais dont elles rendent les Palestiniens seuls responsables, beaucoup de Juifs français ne retiennent que les terribles attentats-kamikazes – que rien, évidemment, ne saurait justifier. Et le traumatisme est d’autant plus douloureux que, selon une enquête de 2002, 48 % des chefs de famille juifs ont des parents proches en Israël et, plus largement, 86 % se déclarent « proches » ou « très proches » de ce pays. Deuxième facteur, la multiplication, depuis l’automne 2002, d’actes antisémites, y compris des attaques contre des synagogues, des écoles ou des personnes juives – des faits inadmissibles, dont les auteurs doivent être recherchés, jugés et condamnés. Comment ne pas comprendre et partager le choc représenté par la réapparition de pratiques que l’on croyait définitivement révolues ? Il n’y a toutefois rien là qui justifie de comparer la France du début du XX e siècle à l’Allemagne des années 1930, comme s’y sont risqués Alain Finkielkraut et quelques autres. Un minimum de sang-froid amène à constater que les listes évoquant des « centaines » d’actes antisémites mélangent e-mails anonymes et incendies de lieux de culte, graffitis et agressions physiques ; que l’antisémitisme en France, selon toutes les enquêtes d’opinion, est devenu marginal, y compris parmi les jeunes issus de l’immigration, et ce malgré la propagande de certains imams ; que les violences antijuives, en particulier dans les cités, s’inscrivent dans un climat général de violence ; que le racisme « bien de chez nous » vise d’abord les Arabes, les Tziganes et les Noirs… Rationnels, ces arguments peinent toutefois à venir à bout d’une paranoïa (« tout le monde nous hait ») à la fois compréhensible, absurde et nuisible. Mais ces facteurs conjoncturels ne retentiraient pas aussi fortement dans un grand nombre de consciences juives si celles-ci n’étaient travaillées par une crise, structurelle celle-là, d’identité. Qu’est-ce qu’être juif à l’aube du XXI e siècle ? Lorsqu’au début de l’année 2002 nous avons commencé, avec Sylvie Braibant, cette enquête, le rabbin Daniel Gottlieb nous a prévenus : « Si vous interrogez trente Juifs, vous obtiendrez trente réponses… au moins. » Religion, mémoire de la Shoah, lien avec Israël, langue (hébreu, yiddish, judéo-espagnol) et culture restent les principaux « marqueurs » qui, malgré d’infinies possibilités de « dosage », ne suffisent néanmoins plus à définir la judéité française d’aujourd’hui. Sans parler des militants dont la francité et l’engagement relativisent, voire éclipsent les origines. Au point que beaucoup de Juifs s’inquiètent de l’héritage qu’ils pourront léguer. Certes, un peu partout, des associations – qui se veulent « laïques », « progressistes » ou encore « pluralistes » – travaillent à la définition d’un judaïsme moderne et au rassemblement de ceux qui se reconnaissent en lui. Elles ont en tout cas le mérite de commencer à défricher une voie nouvelle, encore étroite, entre repli communautaire et assimilation. Mais la tendance majoritaire va vers la droite – et pas seulement en France. À ces trois facteurs s’ajoute un quatrième : une lancinante campagne de manipulation des esprits. Son objectif : tenter de rattraper le terrain perdu par le gouvernement israélien dans l’opinion publique française. Sa stratégie : aligner le gros de la « communauté juive » pour mieux peser sur les médias (et sur les responsables politiques). Son idéologie : la défense de l’Occident assiégé par l’Islam et donc la primauté donnée à la guerre antiterroriste chère à George W. Bush, Yasser Arafat n’étant plus, dans cette vision du monde, qu’un Oussama Ben Laden régional. Ses armes : la diffamation systématique des journalistes – juifs notamment – sur des sites souvent ignobles, les manifestations devant les médias, les violences du Betar et de la Ligue de défense juive et – dernière innovation en date – les procès en cascade contre tel ou tel professionnel injustement accusé d’antisémitisme… Le plus lamentable dans cette médiocre cabale, inspirée par des propagandistes issus de l’extrême droite et relayée par la droite juive en Israël et en France, c’est que des intellectuels et des groupes issus de la gauche ou même s’en réclamant y ont joué leur partition, avec fréquemment cette virulence provoquée par la mauvaise conscience. Et pour cause : cette dérive ne sert ni les intérêts d’Israël ni ceux des Juifs français dans le combat contre l’antisémitisme. Quoiqu’on pense des responsabilités des uns et des autres dans l’échec du processus de paix au Proche-Orient, il suffit de jeter sur l’escalade en cours un regard lucide pour le mesurer : la création, aussi rapide que possible, d’un État palestinien à ses côtés conditionne, à terme, la survie même d’Israël. L’illusion selon laquelle l’armée israélienne pourrait imposer durablement l’occupation et la colonisation de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est se brisera, en dernière analyse, sur l’élan démographique arabe. Et cette sorte de guerre civile, tantôt larvée, tantôt généralisée, entre deux peuples imbriqués (un million de Palestiniens en Israël, 400 000 Juifs dans les territoires occupés) débouchera sans doute sur l’écrasement de la Palestine, mais aussi sur la disparition de l’État d’Israël ou, à tout le moins, de son caractère juif. De même, que la France n’ait pas subitement rechuté dans l’antisémitisme des pires heures de l’Occupation ne signifie pas qu’elle soit immunisée contre le poison du racisme. Pour lutter contre celui-ci, il convient que chacun, loin de se replier et de se battre isolément, se joigne au contraire aux forces démocratiques de notre société pour conjurer, ensemble, le danger. Quand des sites ultrasionistes dénoncent, dans des termes dignes de la presse fasciste des années 1930, les « déchets » [sic] arabes ou musulmans et leurs « complices » français, combattent-ils l’antisémitisme ou l’alimentent-ils ? Et quand des intellectuels juifs en arrivent à justifier le rejet par Israël des résolutions des Nations unies – résolutions dont ils exigent l’application par d’autres États –, voire lorsqu’ils refusent de condamner les crimes de guerre commis par l’armée israélienne ? Et quand des avocats juifs accusent d’antisémitisme des journalistes qui s’inspirent des positions défendues par… le camp de la paix israélien et soutenues par la majorité des Israéliens, combattent-ils l’antisémitisme ou l’alimentent-ils ? Ces questions, et bien d’autres, nombre de Juifs se les posent. Ils refusent de laisser les ultras – ultra-nationalistes comme ultra-orthodoxes – confisquer le judaïsme. Entre Spinoza et ses juges, ils n’hésitent pas. Ils éprouvent plus de nostalgie pour Martin Buber que pour Vladimir Jabotinsky, pour le Bund que pour le Betar, pour la MOI que pour l’UGIF. Ils voudraient, comme le dit joliment Annie Dayan Rosenman, « continuer la démarche universaliste […] sans être pour autant des ...
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