Prix public : 20,00 €
Éditorial, Jean-Jacques Rosat Bouveresse dans le rationalisme français, Claudine Tiercelin Après avoir dégagé quelques incarnations du rationalisme dont Bouveresse se démarque, j’indique quelques aspects qui ancrent son œuvre dans la tradition de l’Aufklärung (mais en la renouvelant), avant d’insister sur ce qui me semble plus distinctif de ce rationalisme dans lequel parviennent miraculeusement à cohabiter des sources philosophiques, littéraires et scientifiques : Cournot, Vuillemin, Carnap, Peirce, Wittgenstein, Russell, Frege, Sellars, Bolzano, Boltzmann ou Helmholtz, mais aussi Descartes, Kant, Schopenhauer, Fichte, Husserl, Cavaillès, Canguilhem, les pragmatistes James, Putnam, ou encore des écrivains comme Valéry, T.S. Eliot, et plus que tout peut-être, Lichtenberg, Kraus et Musil. Le démon de Karl Kraus & le philosophe du Collège de France, Thierry Discepolo Si l’immunité du philosophe de la connaissance aux penchants irrationalistes et au modèle tyrannique de Kraus ne fait pas de doute, l’intérêt pour ses outils trouve son sens dans la prise de conscience par le rationaliste des limites de l’Aufklärung. Contre les tentations élitistes de certains enthousiastes naïfs (la liberté naîtra de la lucidité acquise par la seule science et le seul exercice de la raison), Bouveresse tient la satire et l’ironie pour indispensables : le monde intellectuel n’est pas moins violent et injuste que les autres mondes sociaux ; on ne peut y défendre l’honnêteté intellectuelle et l’exigence de justice sociale et économique sans accompagner l’exercice de la raison et les luttes pour un monde égalitaire par l’exercice d’une contre-violence au moins équivalente à la violence de l’attaque dont sont l’objet ces valeurs inséparables aux yeux du démocrate armé. Bouveresse et Bourdieu, critiques de la position scolastique, Bruno Ambroise Bouveresse revendique un certain héritage bourdieusien et considère Bourdieu non seulement comme un sociologue important, mais également comme un interlocuteur de plein droit sur le plan philosophique. C’est qu’il est tout à fait conscient que les philosophes n’échappent pas, contrairement à ce qu’ils aiment croire, aux champs sociaux et aux enjeux sociaux que ceux-ci déterminent : ils y participent en ne croyant participer qu’à des enjeux intellectuels ; et qu’en outre, la façon même dont Bourdieu a construit sa théorie sociologique rejoint des positions philosophiques défendues par Bouveresse, notamment à travers sa lecture de Wittgenstein. C’est ainsi en deux sens que Bouveresse a hérité de Bourdieu : comme sociologue, et tout particulièrement du champ intellectuel, ce dernier lui a apporté un certain nombre de connaissances sur le monde social et sur la philosophie, en tant qu’elle s’y inscrit ; comme épistémologue Bourdieu a développé une démarche méthodologique proche de celle que Bouveresse adoptera. Jacques Bouveresse, historien critique de la philosophie, Jean-Matthias Fleury Il se pourrait que le désintérêt tenace à l’égard des recherches historiques de Bouveresse ait des raisons profondes, dans la mesure où ses travaux interrogent finalement la plupart des objectifs et des présupposés habituellement admis en la matière par le champ académique français. À la suite de Carnap et surtout de Russell, Bouveresse considère en effet que la question de la recherche de la vérité est absolument centrale dans le travail d’analyse historique, ce qui implique une forme de rapport critique à la tradition philosophique beaucoup plus développé qu’il ne l’est habituellement dans les études hexagonales. De ce point de vue, Bouveresse se situe d’ailleurs également en rupture à l’égard du courant de la philosophie rationaliste systématique, initié par Gueroult et poursuivi par des auteurs comme Vuillemin et Granger, dont Bouveresse s’estime, à beaucoup d’autres égards, l’héritier. Une autre philosophie allemande, Christian Bonnet Le paradoxe, dont lui-même s’amuse, qui veut que Jacques Bouveresse soit régulièrement présenté comme un spécialiste de la philosophie anglo-saxonne, quand la plupart des auteurs auxquels il s’est intéressé et qui ont nourri sa réflexion sont des philosophes et des écrivains de langue allemande, s’explique sans doute, comme il le soupçonne, par le fait que, bien que « de langue allemande, une langue qu’on a l’habitude de considérer comme particulièrement philosophique », la tradition à laquelle il a consacré une bonne partie de ses travaux « n’a guère été considérée, dans le meilleur des cas, que comme une simple excroissance bizarre ou un appendice tout à fait mineur de la grande tradition philosophique allemande, alors qu’elle correspond en réalité à un courant de pensée tout à fait spécifique et autonome, qui s’est défini largement par son opposition à la tradition allemande et en particulier à l’idéalisme allemand » L’ironie contre le bel esprit philosophique, Sophie Djigo Loin de pratiquer la confusion des genres entre philosophie et littérature, l’œuvre de Bouveresse offre la preuve par l’exemple que les philosophes ont tout intérêt à se saisir du pouvoir d’élucidation et de diagnostic de certains ouvrages de la littérature. Sur ce point, Bouveresse est l’un de ceux qui ont ouvert une voie dans la philosophie française. Mais ce qui intéresse particulièrement Bouveresse dans cette tradition littéraire qu’il affectionne, en particulier Musil et son héros cacanien, c’est à quel point ce ton, ironique ou satirique, est approprié à la philosophie, notamment à la défense du rationalisme. Ce rapport très particulier à la littérature, aussi bien dans son style de pensée philosophique que dans ses préoccupations, distingue Bouveresse dans le paysage philosophique français contemporain, marqué pour le moins par un certain lyrisme. Les armes de Wittgenstein, Jean-Jacques Rosat « Quand j’écris sur Wittgenstein, dit Bouveresse, il se produit sans doute une sorte de processus d’identification. Je n’ai pas eu à me forcer pour adopter son style de pensée et ses réactions. J’ai trouvé avec lui le philosophe qui vous semble avoir donné le mode d’expression optimal à des idées dont vous sentez que ce sont aussi les vôtres. » Quelles ont pu être les affinités de « réactions » entre un Viennois rencontrant la philosophie à Iéna et Cambridge à la veille de la Première Guerre mondiale et un Franc-comtois la découvrant à Paris au début des années 1960 ? Qu’est-ce qui a fait du « style de pensée » du premier le « mode d’expression optimal » des idées qui ont surgi dans l’esprit du second lors de son entrée dans l’arène philosophique et tout au long des cinquante années qui ont suivi ? Quelles assonances entre leurs volontés ? Quelles similitudes entre leurs combats ? Ce que les auteurs infréquentables ont à dire à ceux qui ne veulent pas leur ressembler, Jacques Bouveresse C’est de l’hommage rendu involontairement à Spengler par certains de ses continuateurs qui s’ignorent, que j’aurais aimé vous parler plus longuement. J’ai toujours l’impression que c’est à nous que Musil s’adresse quand il s’en prend à l’historicisme et au relativisme radical que professe celui-ci. Certains de nos philosophes « postmodernes », qui connaissent aujourd’hui un succès comparable au sien, donnent l’impression de s’évertuer à rendre la plus instable et la plus insaisissable possible – quand ils ne proposent pas de l’abandonner – la distinction entre le vrai et ce qui est reconnu et désigné comme vrai par des sujets connaissants et parlants donnés, à une époque et dans une culture données. Un de ceux qui ont excellé jusqu’à la virtuosité dans ce genre d’exercice me semble être Foucault. Ils ne semblent toujours pas avoir remarqué à quel point Spengler les avait devancés. HISTOIRE RADICALE Dossier « Cinéma, propagande et stalinisme » présenté par Charles Jacquier La gestion bureaucratique du cinéma, Victor Serge Le cinéma soviétique : une histoire et une élégie, Dwight Macdonald Sur un film américain stalinien : Mission to Moscow (1943), Daniel Sauvaget