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Dans les sociétés bantoues où les relations de parenté constituent le noyau rationnel de l’économie de la vie, toute atteinte à la structure du lignage ébranle non seulement le fondement social des droits et des obligations de chacun mais aussi son rapport au monde. La conséquence immédiate en est le retour du fait sorcellaire qu’un certain africanisme attribue à la dynamique de la modernité africaine ou à l’emprise de la retraditionnalisation. Mais la sorcellerie (kindoki), au sens que les Bantous lui accordent, relève d’une conception derrière laquelle se profile toujours l’armature parentale au coeur de laquelle se trouve la notion centrale de ventre. Au-delà de sa désignation anatomique (vumu), le Ventre symbolise le lignage (moyo), lieu de localisation de la force vitale protectrice du groupe sous la forme d’une substance spécifique, kundu (witchcraft substance), émanation de l’ancêtre dont il assure la permanence, l’ordre et la force de la loi. En partant de la crise structurelle qui frappe les sociétés matrilinéaires du bassin du Congo, cet ouvrage étudie les mutations sociales et politiques en cours, de leur genèse coloniale à leur expression globalisée contemporaine. Il montre combien le délitement des structures lignagères laisse jaillir toute la souffrance qu’elles canalisaient chez l’individu et comment la société, irriguée désormais par des tensions inédites, aspire à de nouveaux équilibres. D’où le souci de se ressourcer à un idéal-type dans lequel la relation sorcellaire traduit le désir de retrouver un cadre où tout semblait réglé par une force tutélaire. C’est sous l’emprise de cette idéalité, fascinante mais illusoire, que le sujet lignager postcolonial se construit, en reproduisant par la défensive ce que la rapidité des mutations sociales et politiques ne lui permet pas de symboliser. Patrice Yengo, anthropologue, est chercheur associé à l’Institut des mondes africains de l’EHESS. Enseignant en pharmacologie à la faculté de médecine de Brazzaville, il s’est ensuite orienté vers l’anthropologie médicale puis politique à la faveur des bouleversements sociaux et les conflits politiques apparus en Afrique centrale au lendemain de l’effondrement de la bipolarité est-ouest. Contraint à l’exil à la suite de la guerre civile du Congo-Brazzaville en 1998, il a soutenu une thèse en anthropologie politique, suivie d’une habilitation à diriger des recherches et d’une résidence à l’Institut des études avancées de Nantes (2010-2012). Il a déjà publié La guerre civile du Congo-Brazzaville aux éditions Karthala en 2006.