Prix public : 10,00 €
Le théâtre de celui que les médias avaient appelé le « Sartre suisse » est, comme celui de l’auteur des Mouches, épris de liberté et insurgé contre toute bien-pensance ; mais il s’en distingue par un scepticisme radical : chez Frisch, c’est l’apparence qui précède l’essence. Jouant habilement avec la posture du moraliste, Frisch nous livre un théâtre à mi-chemin entre réalisme et onirisme – avec des accents chabroliens, certes plus présents dans ses récits que dans ses pièces - dont la jouissance coupable, le narcissisme, l’égotisme, la fatalité des stéréotypes sont les principaux ressorts. La dimension fallacieuse du rapport à l’autre doit engager, chez Frisch, une responsabilité et un questionnement à la fois éthique et esthétique : « nous sommes les auteurs des autres », donc « nous sommes responsables du visage qu’ils nous présentent ». Ses pièces en formes de rondes tragicomiques mettent en mouvement des personnages prisonniers les uns des autres « parce que nous sommes la source, alors que nous nous prenons pour le miroir... ». De cette condition angoissante de l’imagination, il ressort que les pouvoirs libérateurs de la littérature ne sauraient être qu’iconoclastes et négatifs : le langage est « un ciseau qui retranche tout ce qui n’est pas mystère », écrivait-il. Démystificateur de tous les songe-creux identitaires, Max Frisch fut entre autres l’inventeur du personnage subversif du « faux juif », là où William Faulkner, Boris Vian puis Philip Roth imaginèrent celle du « faux blanc ». Son théâtre du doute absolu et de la dérision, théâtre de la conscience politique plus que théâtre politique, constitue un solide remède pour notre époque éprise de certitudes.