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En décembre 1979, la très précieuse revue «Le Fou parle» créée par Jacques Vallet avait publié l’extrait d’un entretien du journaliste et écrivain Jean-Luc Hennig avec Grisélidis Réal, en guise de présentation d’un sulfureux «carnet noir». Ce carnet était, en fait, une sorte de petit répertoire téléphonique, où Grisélidis consignait par ordre alphabétique les prénoms de ses clients, agrémentés de leurs us, coutumes, petites manies et du prix de la passe. C’était pour celle qui ne faisait pas le trottoir, mais «recevait» dans son modeste domicile genevois, une sorte de pense-bête professionnel, d’aide-mémoire minutieusement détaillé. Nous en donnons ici la version intégrale couvrant la période 1977-1995, accompagnée de quelques fac-similés du carnet. Pour le lecteur actuel, cette énumération lancinante a quelque chose de la poésie clinique des inventaires à la Perec ou des installations de Boltanski. C’est un condensé d’humanité masculine qui n’a rien perdu de sa force d’évocation comme Grisélidis Réal l’explique dans un avant-propos intitulé «Trente ans de métier». Mais que sont devenus les fantômes de ces clients dans sa mémoire de prostituée «à la retraite» ? Délaissant tout discours compassionnel ou esprit de repentir, Grisélidis Réal y défend sa conception d’une prostitution non-aliénée, libérée de tous les tabous et donnant à voir de façon iconoclaste notre misère sexuelle commune, tant celle des notables que des travailleurs immigrés. À la suite de ce document d’exception, nous publions un florilège d’écrits militants datant de la période 1976-2004, qui permet de mieux saisir le rôle que Grisélidis Réal a joué dans les mouvements de prostituées.