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Prouver que l'on peut courir plus vite ou sauter plus haut ou baiser plus longtemps ou fumer plus de drogue ou débattre d'un point de détail quelconque avec plus de machiavélisme et de crânerie qu'autrui, rester de marbre en toutes circonstances et ne jamais montrer la moindre faille, au point de pouvoir arrêter la circulation par la seule autorité qui émane de sa personne et tuer les mouches par la férocité et l'intensité de son regard – être la plus cool et la plus dangereuse et la plus raffinée des petites frappes sur Beeston Street – telle est l'épreuve de force quotidienne des rude boys. On appelle ça la pression. Des flingues, de l'herbe, des gangsters, la CIA, des intrigues politiques, des morts, des rastas mystiques, le tout sous les tropiques et sur fond, bien sûr, de musique reggae. Dans les années 1970, la Jamaïque, c'est l'ennui et, surtout, la peur. Bob Marley lui-même n'échappe pas à cette réalité. Quand on lui demande comment un rasta issu des bidonvilles ose s'afficher au volant d'une BMW, il ne se démonte pas : "BMW, c'est une caisse conçue pour moi, c'est l'abréviation de Bob Marley and the Wailers." Les Jamaïcains découvrent dans le mouvement rasta une échappatoire dans une société schizophrène, l'île connaissant un fort taux de chômage. Dread locks et kilos de ganja ne représentent que les pendants de l'angoisse sourde qui envahit de part en part la Jamaïque. Les rastas ont coutume de dire "Babylon on a thin wire", tant le pays est au bord de l'implosion. Dans le même temps, c'est là que s'enracinent le reggae, le ska et les sound systems. On apprend beaucoup sur la musique, sur l'industrie du disque, sur les conflits post-coloniaux et jusqu'aux expressions locales, des plus savoureuses.