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Si l'on connaît l'importance de la diète dans les éthiques grecques, les considérations gastronomiques des modernes paraissent souvent dérisoires.
Le cas de Nietzsche est exemplaire à cet égard: on lit avec le sourire ses propos diététiques qui, aux papilles du lecteur contemporain, se chargent du goût rance que charrie avec elle une jactance surannée, mais au bon goût d'antan. On aurait pourtant tort de s'y méprendre: le registre gastroentérologique, chez Nietzsche, est au centre de ses préoccupations, tout à la fois quotidiennes, comme en témoigne sa correspondance, mais surtout philosophique, comme son œuvre en fait foi. En effet, le registre culinaire et diététique, chez Nietzsche, n'a pas vocation à être simplement édifiant, comme ce peut être le cas chez les penseurs antiques, mais sert de levier métonymique pour penser la nature et le devenir de la civilisation dans son ensemble.
En explorant les viscères de l'histoire culturelle, le philosophe élève la digestion au statut de matrice d'interprétation ermettant de comprendre la réalité – ontologique, organique et historique – dans son ensemble, et d'évaluer les productions de la culture en fonction d'un critère fondamental: le goût et le dégoût.
Agrégé et docteur en philosophie, Arnaud Sorosina est spécialiste de philosophie moderne. Il a notamment publié des éditions commentées de textes de Jankélévitch (L'Aventure, GF, 2017) et de Nietzsche (Sur l'invention de la morale, GF, 2018), (Pourquoi je suis si malin, Préface et postface, Manucius, 2018), (Le Scorpion de l'histoire. Généalogies de Nietzsche, Classiques Garnier, à paraître).