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Keats annonce la désincarnation moderne. Mais en sauvant la beauté au prix de sa vie même, en incarnant alors le « poétique », il est à la fois un objet, un animal, un vase, une fleur : son identité se déduit de son absence à lui-même. La poésie redevient chemin vers la vérité, union - non plus lien, religion, mais union du mot et de la chose, de la vie rêvée et de l'innocence en construction. Keats propose un contre-modèle, qui ouvre à la Modernité et préfigure Baudelaire. Le poète désacralise le langage, mais dans le même mouvement, il fait de l'allégorie poétique la seule réalité accessible, déchiffrable. Le poète fuit un monde qui redevient barbare, qui invente une industrialisation de la Barbarie. Plongeant dans l'Absolu de la Beauté (« A thing of beauty is a joy for ever »), il sacrifie la poésie ancienne, ses mythes, sa sacralité, se fond dans l'énigme du monde pour inventer un devenir au poète dans la modernité qui le nie : l'invention d'une allégorie nouvelle, le passage ultime de l'expérience à l'innocence - mais éprouvée comme une expérience humaine de notre présence au monde poétiquement familier et inconnu. Loin de Pindare et déjà loin des Odes de Coleridge, les Odes de 1819 sont un tournant et sont aussi le centre de l'oeuvre de Keats. La chanson mortelle et éternelle du Rossignol se répand, de siècle en siècle - mais le poète sait bien que l'oiseau meurt et revit autre et identique, comme le poème traverse le temps et le sens pour surgir, toujours premier, toujours victime, pour témoigner du fragile sentiment d'éternité qui habite l'improbable cri humain dans la nuit prénatale des espaces infinis et pourtant entropiques, comme le souvenir...