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Alors que pendant de très longs siècles, l'hébreu servait avant tout à la transmission du patrimoine religieux, il retrouve au début du XXe siècle un élan neuf dans les communautés juives de Palestine. Au temps où Rachel écrit, il est à nouveau parlé dans les rues, dans la vie quotidienne. Alors que la poésie demeurait jusque-là l'apanage des hommes, l'écriture de Rachel rencontre immédiatement une large audience et joue un rôle pionnier dans l'adaptation de la vénérable langue hébraïque au monde moderne. Aujourd'hui encore, les anthologies de ses poèmes sont des livres à succès et son oeuvre fait partie du programme obligatoire des écoles. Dans sa préface à la traduction anglaise, Flowers of Perhaps (1994), le poète Yehuda Amichaï écrit : « Ce qui est le plus remarquable dans la poésie de Rachel, c'est qu'elle ait pu demeurer, depuis plus de soixante-dix ans, aussi neuve dans sa simplicité et son inspiration. » Le chant de cette pionnière de l'hébreu moderne a ainsi le rare privilège d'être devenu véritablement le chant d'un peuple. La Bible est la racine de la poésie de Rachel. Au-delà du vocabulaire et de la thématique, la poétesse relie sa propre existence à l'expérience des personnages bibliques. Ainsi de Rachel et d'Anne, d'Élie, de Mikhal, de Jonathan. Mais c'est à Job qu'elle se réfère le plus : comme lui souffrante, elle attend, dans le doute et la nuit du désarroi, la guérison. Parlant d'elle-même, c'est ainsi la condition humaine que peint Rachel, non pas abstraitement mais, comme dans l'Écriture, de manière concrète, par la main (yad), le regard (‘ayin), la voix (qol). C'est dans une poésie de l'essentiel qu'elle veut s'inscrire. Un « chant de mille oiseaux », un chant de souffrance et de joie, un chant de l'être en exil et de la lumière. Telle est l'expérience intense et tragique de Rachel, très proche au fond, dans un même destin brisé, de celle d'Etty Hillesum - dont la mère Rébecca était née elle aussi en Russie pour s'exiler non pas en Palestine mais aux Pays-Bas.