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INTRODUCTION
La première gargouille
Rabelais, dans Gargantua, nous montre le géant poursuivi avec tant d’insistance par des badauds
parisiens, « qu’il fut contraint de se réfugier sur les tours de l’église Notre-Dame. Installé
à cet endroit et voyant tant de gens autour de lui, il dit d’une voix claire : « Je crois que ces maroufles
veulent que je leur paye ici ma bienvenue et mon étrenne. C’est juste. Je vais leur payer
à boire mais « ce ne sera que par ris ».» Alors, en souriant, il détacha sa belle braguette et tirant
en l’air sa mentule, les compissa si allégrement qu’il en noya deux cent soixante mille quatre cent
dix-huit, sans compter les femmes et les petits-enfants. »
Il est l’ancêtre de nos gargouilles !
Cette truculence, la gargouille en témoigne encore dans son étymologie : le préfixe « garg »
désigne au Moyen-Âge le gosier, et « goule », la gueule ou l’oesophage. Le mot « gargouille »,
tout en jouant sur les évocations sonores d’eau et de déglutition, évoque une gorge réduite à sa
bruyante fonction digestive.
Sa forme phallique aussi fait rire, particulièrement lorsqu’en jaillit une cataracte qui arrose
les passants imprudents les jours de pluie. Mais à Paris, le risque de « prendre une gargouillée
sur la tête » se fait plus rare. L’expression elle-même a disparu au fur et à mesure que les rues
s’élargissaient, que les églises se dégageaient des maisons et boutiques qui les enserraient, et que
des systèmes d’évacuation des eaux de pluie plus modernes apparaissaient.
La gargouille, en effet, est un élément d’architecture utilitaire, formé d’une pierre creusée en
forme de gouttière qui empêche l’humidité de s’infiltrer dans les murs en rejetant l’eau de pluie le
plus loin possible de l’édifice. Elle fait saillie à tous les endroits où a été percé le chéneau, sorte
de caniveau aménagé dans les hauteurs pour recueillir l’eau de pluie qui a ruisselé du toit et qui
se vide ainsi. Les gargouilles de Paris, travaillées le plus souvent dans la pierre mi-dure qu’est le
liais, sont donc victimes de l’érosion de l’eau, des vents qui attaquent leur forme allongée, de la
pollution, et surtout du gel qui les fait éclater en hiver.
Ces sculptures relativement fragiles sont pourtant exécutées par des artistes1 expérimentés,
ceux-là même qui ont réalisé les magnifiques programmes sculptés sur les façades des églises et
destinés à l’édification des croyants. Mais elles appartiennent à la sculpture marginale qui laissait
aux sculpteurs une totale liberté d’expression : beaucoup d’entre elles sont donc de véritables
chefs d’oeuvre à découvrir.
Loin d’être la déclinaison de centaines de monstres, les gargouilles de Paris présentent une
multitude de formes révélatrices des grands mouvements artistiques, culturels et historiques des
sept derniers siècles.
Ce livre veut être un Guide de Paris qui mène le promeneur, le nez en l’air, au pied de quinze
monuments prestigieux que les gargouilles éclairent d’un jour insolite ; [.