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Préface
Judith Leyster
Le choix de La Proposition comme photo de couverture et titre de la biographie de Judith Leyster ouvre, pour nous lecteurs et lectrices du XXIe siècle, la passionnante question du point de vue en art.
Qu’est-ce qui donne de la valeur à une œuvre d’art, demande Anne Comtour avec ce choix singulier ? Et qu’est-ce qui fait qu’une artiste comme Judith Leyster a pu être « oubliée » pendant deux siècles après avoir peint ce tableau ?
Du point de vue des hiérarchies académiques, La Proposition, ou sous sa forme longue Homme proposant de l’argent à une jeune femme, est rangée dans la catégorie peinture de genre, c’est-à-dire celle qui représente des scènes de la vie quotidienne dépourvues d’enseignement biblique, philosophique ou historique. Notons d’ailleurs qu’en ce début du XVIIe siècle hollandais, Judith Leyster s’inscrit dans le courant des peintres de Haarlem, qui montrent tous des scènes de cabaret, de musiciens ou de « joyeuses compagnies » comme Frans Hals ou Jan Miense Molenaer ont pu en immortaliser.
Dans La Proposition, la scène se concentre sur une banale histoire d’un homme qui propose de l’argent à une femme pour acheter ses charmes. Proposition de multiples fois traitée dans l’histoire de l’art.
Sauf que ce qui change ici, c’est le point de vue.
On voit deux personnages. Un homme, à gauche, debout, le coude appuyé sur un guéridon sur lequel est posée une bougie. Sa main gauche touche l’épaule de la jeune femme, penchée sur son ouvrage, et qui ne semble pas être perturbée par l’intrus. La scène est éclairée par la bougie qui met en valeur la blouse blanche de la femme qui contraste avec le côté gauche de son corps comme plongé dans l’obscurité. Il faut s’approcher du tableau pour voir plus précisément les mains des deux personnages, peintes au même niveau. L’une est remplie de pièces d’or. Celles de la femme en revanche continuent de coudre. Elle ne veut pas, c’est évident. Et voilà que cette banale scène de genre déploie devant nos yeux une histoire de harcèlement sexuel peinte il y a presque quatre siècles (1631) du point de vue d’une femme.
Cette scène « touchera d’emblée toute femme qui a déjà eu à subir ce genre d’avances où le gêneur refuse obstinément de croire qu’il est importun », écrivait Anne Sutherland Harris en 1976 dans le remarquable catalogue Femmes peintres 1550-1950 qui a lancé les recherches sur les artistes femmes. Effectivement. Il faut être une femme pour ressentir l’importance d’un tel point de vue et pour s’attaquer collectivement au problème de la dévalorisation des artistes femmes. Pourquoi une artiste comme Judith Leyster, seule « Maître » femme a avoir été admise à la Guilde de Saint-Luc, était tombée dans l’oubli. Et l’on découvre que certaines de ses œuvres comme La Joyeuse compagnie (1630, Musée du Louvre) avaient été attribuées à Frans Hals, avant de lui être réattribuée en 1893 grâce à Cornelis Hofstede de Groot qui découvrit sa signature en bas du tableau. [...]