Prix public : 14,00 €
La première édition de cet ouvrage a paru en France en 1993 aux Éditions du Masque. Une nouvelle traduction par Andrea H. Japp a été publiée aux Éditions des Deux Terres en 2005. Titre original : ALL THAT REMAINS Éditeur original : Scribner, New York © original : Patricia D. Cornwell, 1992 ISBN original : 978-0-684-19395-3 Pour la traduction française : © Éditions des Deux Terres, mars 2013 ISBN : 978-2-84893-146-3 www.patriciacornwell.com www.les-deux-terres.com Ce roman, pour Michael Congdon. Avec mes remerciements, comme toujours.1 Ce samedi, dernier jour du mois d'août, je me mis au travail avant l'aube. Je ne vis pas la brume s'effilocher sur l'herbe ni le ciel virer au bleu éclatant car la morgue est dépourvue de fenêtres et des cadavres se succédèrent toute la matinée sur les tables d'acier. Le week-end célébrant la fête du Travail venait de démarrer en fanfare dans la ville de Richmond, avec sa cohorte d'accidents de voiture et de fusillades. Lorsque je regagnai ma maison du West End, il était 2 heures de l'après-midi. J'entendis Bertha passer la serpillière dans la cuisine. Elle venait faire le ménage tous les samedis et avait pour instruction de ne pas répondre au téléphone, lequel venait de se mettre à sonner. – Je ne suis pas là, déclarai-je d'une voix forte en ouvrant la porte du réfrigérateur. Bertha s'interrompit. – Il a sonné il y a une minute, et encore cinq minutes avant. Toujours le même type. – Il n'y a personne à la maison, répétai-je. – C'est comme vous le sentez, docteur Kay, répondit-elle en s'activant avec le balai-brosse. Je tentai d'ignorer l'intrusion du répondeur et son annonce désincarnée dans la cuisine inondée de soleil. À l'approche de l'automne, je commençais à économiser les tomates de Hanovre que je consommais sans compter tout l'été. Pourtant il ne m'en restait plus que trois. Où avais-je donc fourré la salade de poulet ? Une voix masculine familière succéda au bip du répondeur : – Doc ? C'est Marino... Seigneur, songeai-je en refermant la porte du réfrigérateur d'un coup de hanche. Le capitaine Pete Marino, du département des homicides de la police de Richmond, était sur le pied de guerre depuis la veille à minuit. Je l'avais aperçu un peu plus tôt à la morgue, alors que j'étais en train d'extraire les balles récoltées par la victime de l'une de ses enquêtes. Il prévoyait de prendre la route sous peu à destination de Lake Gaston afin de profiter de ce qui restait d'un week-end de pêche. Quant à moi, je me réjouissais à la perspective de travailler dans mon jardin. – J'ai essayé de vous joindre et je repars. Faudra que vous tentiez le coup sur mon pager..., déclara-t-il d'un ton pressant. Je me jetai sur le combiné. – Je suis là. – C'est vous ou cette foutue machine ? – Devinez ! aboyai-je. – Mauvaise nouvelle. On a retrouvé une autre bagnole abandonnée. New Kent, l'aire de repos de l'Interstate 64, en direction de l'ouest. Benton vient tout juste de me mettre au courant... – Un autre couple ? l'interrompis-je, oubliant aussitôt mes projets de week-end. – Fred Cheney, sujet masculin blanc, dix-neuf ans. Deborah Harvey, sujet féminin blanc, dix-neuf ans. Vus tous les deux pour la dernière fois vers 20 heures hier soir, lorsqu'ils ont quitté la maison des Harvey à Richmond, en route pour Spindrift. – Et la voiture se trouvait dans la direction opposée ? demandai-je, car Spindrift, en Caroline du Nord, se situe à trois heures et demie de voiture à l'est de Richmond. – Ouais. On dirait qu'ils allaient vers l'ouest, pour rentrer en ville. Un policier a trouvé la caisse y a environ une heure, une Jeep Cherokee. Et pas trace des gamins. – Je pars, dis-je à Marino. Bertha n'avait pas cessé de passer la serpillière, mais je savais qu'elle n'avait pas perdu un mot de notre conversation. – Dès que j'ai fini, je m'en vais, m'assura-t-elle. Je fermerai à clé et je rebrancherai l'alarme. Vous inquiétez surtout pas, docteur Kay. La peur au ventre, j'attrapai mon sac et gagnai ma voiture à la hâte. Jusqu'à présent quatre couples semblaient s'être évanouis dans la nature, avant d'être retrouvés assassinés, dans un rayon de soixante-dix kilomètres autour de Williamsburg. Ces affaires demeuraient sans explication et la presse les avait baptisées « les meurtres de couples ». Nul indice n'avait été relevé et personne ne formulait de théorie crédible, pas même le FBI et son VICAP, le Violent Criminal Apprehension Program, qui utilisait une base de données nationale gérée par un ordinateur « intelligent », capable de mettre en relation les dossiers de personnes disparues et les corps non identifiés, ou de faire le lien entre des crimes en série. Lorsque les deux premiers cadavres avaient été découverts, plus de deux ans auparavant, la police locale avait requis l'assistance d'une équipe régionale du VICAP, composée de l'agent spécial du FBI Benton Wesley et d'un vieux de la vieille de la police criminelle de Richmond, Pete Marino. Un nouveau couple s'était volatilisé, puis encore deux autres. Chaque fois, le temps que l'information parvienne au VICAP, que le NCIC, le centre national d'information criminelle, diffuse en urgence la description des disparus aux différents départements de police à travers tout le pays, les adolescents étaient déjà morts, leurs restes se décomposant au fond d'un bois. J'éteignis la radio de la voiture, franchis le péage et accélérai sur l'Interstate 64 en direction de l'est. Des images, des voix se télescopèrent brutalement dans mon esprit : des ossements et des vêtements pourris parsemés de feuilles mortes ; les charmantes photos souriantes des adolescents disparus imprimées dans les journaux ; des parents désespérés, éperdus, balbutiant devant un micro à la télévision ou me joignant par téléphone. – Je suis désolée pour votre fille. – Je vous en prie, dites-moi comment mon bébé est mort. Mon Dieu, je vous en supplie, dites-moi si elle a souffert. – La cause de sa mort demeure indéterminée, madame Bennett. Je ne peux rien vous dire de plus pour l'instant... – Comment cela, vous ne savez pas ? – Il ne reste que ses os, monsieur Martin. Lorsque les tissus ont disparu, il n'y a plus trace d'aucune blessure... – Je me tape de vos conneries d'explications médicales ! Je veux savoir ce qui a tué mon garçon ! Les flics nous parlent de drogue, mais mon gamin n'a jamais pris une cuite de sa vie, et encore moins de la drogue ! Est-ce que vous êtes capable de comprendre ce que je vous dis ? Il est mort, et les flics sont en train d'en faire une espèce de voyou... « Un défi pour le médecin expert général : le Dr Kay Scarpetta incapable de déterminer la cause de la mort. » Cause du décès : indéterminée. Encore et encore. Huit fois de suite, huit jeunes gens. C'était effrayant. Au demeurant, c'était bien la première fois que je me trouvais confrontée à un tel casse-tête. Tout anatomopathologiste rencontre un jour ou l'autre dans sa carrière des décès dont la cause demeure une énigme. Pourtant, jamais je n'avais buté sur autant de cas qui, de surcroît, présentaient tous un point commun évident. J'actionnai le toit ouvrant et le beau temps me remonta le moral. Il faisait à peine vingt-cinq degrés et les feuilles n'allaient pas tarder à changer de couleur. L'automne et le printemps étaient les seules saisons de Richmond qui ne me faisaient pas regretter Miami. Les étés étaient aussi chauds que ceux de la Floride, sans même le réconfort des brises maritimes qui purifient l'air de ma ville natale. L'humidité y était effroyable. Quant à l'hiver, il ne me convenait pas davantage puisque je n'aime pas le froid. Mais le printemps et l'automne étaient enivrants, et je me laissais griser. L'air me monta à la tête. L'aire de repos du comté de New Kent sur l'Interstate 64 se situait à exactement quarante-six kilomètres de chez moi. Elle ressemblait à n'importe quelle autre aire de repos de Virginie, avec des tables de pique-nique, des barbecues et des poubelles en forme de tonneaux de bois, des toilettes aux murs de brique, des distributeurs automatiques et des arbres fraîchement plantés. Pourtant il n'y avait ni automobiliste ni routier en vue. En revanche, l'endroit gr...