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Depuis la fin de l'année 2019, le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESR) se mobilise contre un énième projet de réforme néolibérale: la LPPR, ou loi de programmation pluriannuelle de la recherche. Après avoir ignoré les revendications de la communauté scientifique, essuyé les avis défavorables de différents comités consultatifs, et profité de la désorganisation générée par l'épidémie de Covid-19 dans les établissements d'enseignement supérieur, la ministre Frédérique Vidal opte pour le choix du passage en force. Le projet de loi est donc finalement discuté et adopté en première lecture à l'Assemblée nationale au mois de septembre?2020, agissant avec un violent et profond mépris adressé, une fois de plus, à un secteur du service public qui refuse les réformes néolibérales qui lui sont imposées. Or, ce projet a ceci d'inquiétant qu'il menace sérieusement les libertés académiques en assujettissant davantage les personnels et les structures aux intérêts privés, tout en aggravant la précarité des conditions de travail, sous prétexte, bien sûr, d'une meilleure «compétitivité» sur la scène internationale. Tout en éclairant les enjeux politiques de ce projet de réforme, le dossier de ce numéro entend inscrire les récentes mobilisations dans le prolongement historique des luttes de l'ESR depuis Mai 68. À partir de témoignages et de textes plus théoriques, le dossier rend compte des débats, des expériences et des réflexions qui ont marqué la période considérée. Il apparaît que les sciences ne sont plus présentées comme des «?êtres magiques?», sûrs d'eux-mêmes, évoluant hors de la société. Elles sont ici le produit d'une activité simplement humaine, traversée par des relations de pouvoir, de domination et d'exploitation à l'intérieur d'une économie capitaliste dont les structures et les modes de gouvernance évoluent. Si les contributions réunies se veulent peu optimistes quant à l'avenir de l'ESR en France, elles laissent pourtant entrevoir des pistes de réflexion qui, peut-être, permettront de préparer les résistances et les victoires futures. En assumant leur dimension fragile et vulnérable, et donc en abandonnant une bonne fois pour toutes leurs prétentions scientistes dont les échecs ne sont plus à démontrer, les sciences et leurs travailleurs peuvent en effet trouver les conditions pratiques et théoriques pour lutter avec et aux côtés des luttes sociales dans leur ensemble, des quartiers populaires aux luttes écologiques et environnementales. Pour autant, il n'est pas ici question d'en finir avec la science en tant qu'idéal démocratique d'émancipation. Il convient plutôt de reconsidérer la façon dont elle compose le monde avec ceux et celles qui y habitent. Comme l'écrit la philosophe féministe Donna Haraway: «La science a été utopique et visionnaire depuis le début?; c'est une des raisons pour lesquelles "nous" en avons besoin.»