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« Avec Piero di Cosimo, l’incroyable est arrivé : grâce à Vasari, qui fut le premier et le dernier à le célébrer au XVIe siècle, les chercheurs et les historiens du XIXe et du XXe siècle ont tenté de reconstituer ce qui est resté de son œuvre dispersée et que l’on attribuait souvent à d’autres peintres. L’énigme a resurgi, mutilée mais impressionnante par sa singularité : les surréalistes ne s’y trompèrent pas, qui furent les premiers à lui rendre hommage. » C’est dans cette lignée qu’il faut replacer l’essai d’Alain Jouffroy, premier livre français consacré à Piero di Cosimo, paru d’abord en 1982 dans la collection L’Atelier du merveilleux de Robert Laffont, où des écrivains de renom célébraient des artistes rares. Aussi ancienne, sinueuse et fragmentée que l’œuvre aujourd’hui attribuée au peintre florentin, cette généalogie n’encombre pourtant pas Alain Jouffroy. Abreuvé aux recherches des érudits, celui-ci fait le choix de la subjectivité : « Je pleure, je ris, je veille et je suis sourd aux appels d’un homme extraordinairement ex-centrique, qui a situé le centre de tout hors de tous les cercles où pourrait subsister ce qu’on appelle un “centre”. » C’est de fait son œuvre profane et mythologique qui intéresse Jouffroy, au détriment d’une œuvre religieuse dans laquelle il décèle une concession du contemporain des Médicis et de Savonarole « à la malveillance du pouvoir des princes et à la surveillance de l’Inquisition ». Ce n’est pas pour rien qu’il dédie son livre André Breton, défenseur des « briseurs de barrières » et auteur avec Gérard Legrand de L’Art magique : « Piero di Cosimo, affirme-t-il, n’a pas peint ces tableaux pour nous rassurer, mais pour dialoguer avec nous dans un autre langage que celui de la raison : un langage plus exact que celui des mots, où l’ordre que nous croyons par notre pensée introduire dans le chaos du monde est entièrement remis en cause, mais en douceur. » Vénus, Mars et amours, La Mort de Procris, La Chute de Vulcain ou Hylas et les Naïades, Vulcain et Éole, Combat des Centaures et des Lapithes, Persée libérant Andromède… : autant de tableaux qui doivent leur titre à l’iconologie et que Jouffroy scrute à frais nouveaux, avec passion autant qu’avec prudence, pour finalement y déchiffrer « un probable mouvement d’opposition clandestin aux dogmes de la philosophie néo-platonicienne à la mode, comme aux pouvoirs religieux et civils de l’époque », l’œuvre d’un « nostalgique du triomphe sur l’impossible, qui aurait trouvé le moyen de s’exiler dans sa propre cité ». Toiles longues et basses d’où le ciel de la transcendance est presque absent ; scènes de chasse, de combats et d’amours sensuelles et meurtrières célébrant l’existence terrestre ; rêveries d’un homme que Jouffroy présente à la suite de Vasari comme un demi-ermite pour qui la peinture fut le moyen de penser à l’écart.