Prix public : 15,00 €
Tout a commencé avec une étrange petite boîte noire reçue par Fred Deux en cadeau, un magnétophone. C’est ce qu’il confie dans la première cassette des enregistrements du récit de son existence, inextricablement liée à celle de Cécile Reims, enregistrements de plus de deux cents heures réalisés au long de trois décennies : « Me voilà en 62, 63, 64. J’ai un magnétophone sur une table et je laisse sortir de moi une mèche enflammée qui s’enroule sur des bobines. » Muriel Denis, dans Être Deux, recueille et ravive cette mèche enflammée, en racontant l’histoire de ce couple d’artiste qui inventa, dit-elle avec justesse, une manière « d’être seul à deux ». Les chemins de Fred Deux (1924-2015), dessinateur, écrivain, et de Cécile Reims (1927-2020), graveuse buriniste, se croisent en 1951, pour ne plus se séparer. Tous deux avaient pris part à la résistance à l’occupation nazie, lui au sein des Francs-tireurs partisans, elle au sein de l’Organisation juive de combat, alors que sa famille avait été décimée suite à la rafle du Vélodrome d’Hiver. Leur vie ensemble sera, comme le dit Fred Deux, « tout à la fois affolante de sérénité et de calme, lyrique-délirante », s’aimant, se soutenant, travaillant seuls, travaillant ensemble. Muriel Denis raconte leur histoire avec une fidélité et une inventivité passionnées : « Les cassettes de Fred sont un monument de la littérature orale et une porte d’entrée fabuleuse autour de la représentation d’un couple au travail et au quotidien. D’écouter les cassettes à travers ce prisme permet de découvrir que le plus beau chef-d’œuvre de ces bandes, c’est peut-être ce qui a trait au couple de Fred et Cécile. L’énergie, les angoisse, les blessures, le soutien mutuel, l’extraordinaire communication et le besoin de silence parfois, même et surtout dans la répétition des jours. » C’est en allumant la radio par une nuit d’été que Muriel Denis fait leur rencontre, est happée par leurs histoires croisées et envoûtantes : « Une nuit de juillet 2019 à la radio, un homme me parle. Je ne sais pas qui c’est. C’est fabuleux. Le lendemain, je retourne voir. Il s’agit d’une improvisation de Fred Deux. Je vais découvrir le site des bandes magiques, et je m’attache à cette autobiographie sonore enregistrée sur des cassettes. […] Je ne deviens pas insomniaque, je deviens chouette : en veille, attentive, alerte : toutes les nuits pendant un an, j’écoute ces cassettes. » Dans sa « nuit éveillée », Muriel Denis se met alors à écrire ce qui deviendra Être Deux, mêlant sa propre voix à la voix de Fred Deux. De la somme impossible des « bandes magiques », des fragments et des phrases reprennent vie dans la solitude peuplée de l’écrivaine. Comme celle-ci, en exergue du livre, qui fait signe vers la survivance de l’histoire de « deux personnes profondément séparées et intensément unies », l’histoire qu’on va découvrir : « Nous existerons. Les choses sans nous existeront. Vous serez éblouis. Vous verrez. »